Cela fait maintenant bien deux ans que le mangaka Gou Tanabe nous régale chez Ki-Oon avec la collection Les Chefs d’Oeuvre de Lovecraft (lire le coup de coeur sur les Montagnes hallucinées ici ou sur La Couleur tombée du ciel ici). La dernière addition en date, L’Appel de Cthulhu, ne déroge pas à la règle, et continue de placer l’artiste comme un incontournable des adaptations du romancier américain.
C’est presque à se demander pourquoi Tanabe n’a pas commencé ses transpositions illustrées des récits de Lovecraft par l’Appel de Cthulhu, assurément l’un des textes les plus emblématiques de l’écrivain, et fondateur pour ce qu’on appelle le mythe de Cthulhu. D’autant plus qu’il ne s’agit pas du récit le plus « difficile » à transposer du point de vue de l’imaginaire. Au delà de cette simple question, le constat est celui du plaisir immédiat : on reconnaît le trait précis et généreux de Tanabe, une composition qui sait tout aussi bien mettre le doigt sur le profond malaise des protagonistes qu’amener le lecteur aux vertiges inhérents aux visions cosmiques et glauques des mythologies lovecraftiennes. On retrouve une narration qui sait mettre l’emphase sur les tournures clés de l’auteur disparu, quand le reste des descriptions passe par le dessin. Le découpage des chapitres est là pour faire écho à celui de la nouvelle, et passer entre les mailles d’une narration pas forcément aisée.
Comme tant d’autres écrits de Lovecraft, L’Appel de Cthulhu fait en effet appel à des récits dans le récit, souvent sous forme épistolaire, au gré des découvertes du personnage principal. Ici, Francis Thurston mène l’enquête : après le décès de son grand-oncle, archéologue de profession, il découvre journaux et enquêtes qui l’amènent à une terrible vérité : il existe une sorte de culte abominable, sur Terre qui vénère une divinité ancienne, tapi dans une cité sous-marine. Dans sa demeure de R’lyeh, le défunt Cthulhu rêve et attend. Les fondations d’une mythologie cosmique terrifiante sont posées, et il appartiendra au lecteur d’en découvrir les secrets au fil des pages. Tanabe réussit à s’adapter sans problème aux contraintes des narrations multiples. Il n’est pas difficile de s’y retrouver, sauf peut-être à quelques dates, mais la narration reste fluide malgré les multiplications des points de vue.
Sur le plan graphique, L’Appel de Cthulhu est une nouvelle preuve du talent indéniable de Gou Tanabe et de son adéquation parfaite à l’oeuvre de Lovecraft. On n’en doutait désormais plus, après les réussites que sont Les Montagnes Hallucinées, La Couleur Tombée du Ciel ou Dans l’Abîme du Temps. En conséquence, on n’en doute toujours plus. Les personnages sont expressifs et l’artiste sait dépeindre leur angoisse grandissante à mesure que le récit progresse. Les visions cosmiques ou décadentes trouvent toujours un superbe écho, notamment lorsque Tanabe s’arme de superbes double-planches pour exacerber la puissance des imaginaires Lovecraftiens. L’utilisation des aplats de noir pour les structures architecturales et les monstruosités gigantesques sont d’une efficacité redoutable. Le malaise et l’horreur se font écho tour à tour, pour une lecture délicieusement étouffante.
En somme, que vous soyez fans de bons mangas, des oeuvres de Lovecraft ou que vous souhaitez découvrir facilement cet univers (parce que sa prose n’est pas la plus accessible), L’Appel de Cthulhu s’ajoute aux immanquables de votre bibliothèque. La collection de Ki-Oon est un petit trésor du secteur, et on est plus qu’impatients d’en découvrir les futurs ajouts !
Image principale : ©Tanabe Gou 2019 / KADOKAWA CORPORATION