Qui ne connaît pas le Marsupilami ? Personnage phare créé par André Franquin dans les aventures de Spirou et Fantasio, on a pu le découvrir dans l’album Spirou et les héritiers dès 1952. Réapparu à de nombreuses reprises dans la série, l’animal a une telle notoriété qu’il aura par la suite le droit à sa propre série. En 1987 sort La Queue du marsupilami, écrit par Greg et dessiné par Batem sous la supervision de Franquin. Et depuis 33 ans, la série, toujours dessinée par le même dessinateur, est publiée au rythme quasi annuel et est passée entre les mains de différents scénaristes.
Appropriation du mythe
Avec La Bête, pour la première fois depuis l’apparition du Marsupilami, le personnage a le droit à des aventures en dehors du chemin balisé par Spirou et Fantasio ou sa propre série. Le Marsupilami de Zidrou & Frank Pé est une adaptation très personnelle de l’univers animalier de Franquin. À la manière d’une Aventure de Spirou et Fantasio par… (ce que les auteurs ont déjà commis en 2016 avec La Lumière de Bornéo), le duo s’approprie l’univers et les grands jalons de la série pour imaginer, scénariser et dessiner un épisode à leur manière, sans avoir les contraintes liées à la publication d’un volume dans le continuum premier.
Mais on le sait, adapter c’est trahir. Et, prenant le dicton au pied de la lettre, on peut dire que les deux auteurs savent surprendre ! Cette adaptation est déstabilisante dès le départ tant les premières pages de cet album tranchent brutalement avec les origines et ce que l’on connaît du personnage.
Un marsupilami en terres inconnues
Fin novembre 1955. Extérieur nuit. Port d’Anvers, Belgique.
Revenu d’un voyage involontairement prolongé de 21 jours pour cause de panne, un cargo est resté en pleine mer par de très fortes chaleurs sans pouvoir sauver sa cargaison. Remplies d’animaux exotiques, les entrailles du navire ont subi de plein fouet le manque d’eau et de nourriture. À présent à quai, les cales du bateau sont sens dessus dessous. L’odeur est affreuse et peu d’animaux ont survécu… Et parmi les plus farouches, une étrange bestiole jaune tâchée de noir possédant une très longue queue a encore assez d’énergie pour s’échapper !
Vous l’aurez compris, le Marsupilami de cette histoire est une vraie bête sauvage. Épuisé par le trajet et la privation, son corps imposant est fragilisé. À peine échappé du port, il erre à demi-conscient en Belgique.
La bête intrigue déjà énormément et en impose par sa carrure et son état. Pourtant la force de ce récit est également de ne pas mettre la lumière que sur l’habitant de la forêt palombienne. Bien au contraire, les auteurs se jouent du lecteur en le faisant d’abord apparaître peu et en construisant le contexte. À cette époque, les Belges vivent encore avec les séquelles laissées par la guerre, l’ostracisme est bien présent et les conditions sociales difficiles. Heureusement, parmi les habitants un jeune garçon amène de la lumière à cet environnement. Passionné par la faune, la découverte qu’il va faire va lui changer la vie.
Une superbe édition au service du dessin
Avec un traitement sombre, ce premier tome captive et émerveille en même temps. En parfait accord avec le scénario dramatique et la mise en scène spectaculaire, les couleurs directes et le bestiaire de Frank Pé sont époustouflants. La narration permettant à l’histoire de s’épanouir par le dessin, le grand format quasi carré de cet ouvrage est une aubaine. Le dessinateur y peint des personnages expressifs et décors immersifs qu’il n’hésite pas à étaler sur une à deux pages.
Il n’est pas toujours évident de s’approprier l’univers d’une œuvre mythique, mais avec La Bête Zidrou & Frank Pé revisitent Le Marsupilami avec virtuosité. Leur merveilleuse proposition artistique est éblouissante, émouvante. Dur et tendre à la fois.
Illustration principale : Le Marsupilami de Frank Pé et Zidrou par Frank Zidrou © Dupuis 2020