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Incontournables
par Thomas Mourier - le 17/12/2018
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par Thomas Mourier - le 17/12/2018

Watchmen : Who watches the Watchmen ?

Ce titre est parfaitement adapté pour faire le pont entre les genres. Alan Moore a utilisé un groupe de super-héros anciens et non utilisés depuis des années, pour écrire le cross-over qui allait marquer un avant et un après dans l’histoire des comics et leurs conceptions.

Créé par Alan Moore & Dave Gibbons en 1986. Ce livre a non seulement modifié ma perception des bandes dessinées, mais aussi celle de l’écriture en générale : Alan Moore fait preuve d’une créativité totale jouant sur plusieurs niveaux de lecture, jouant aussi bien sur la forme que sur le fond.

Les auteurs créent un monde de héros vieillissants, mis au ban par le gouvernement américain, où certains doivent reprendre du service, car un tueur assassine « les masques », les anciens héros costumés. Les personnages de cette uchronie seront construits à partir des œuvres de Ditko (dont on parlait plus haut pour son travail sur Spider-Man et Dr Strange) qui donneront les très réussis Dr Manhattan mais surtout l’inquiétant et tenace Rorschach.

Entre secrets mal gardés du passé, ambition démesurée, projets secrets et détermination sans faille, plus de 400 pages de noirceur et de vision pessimiste sur ambiance de fin du monde. Le livre commence par la mort d’un Watchmen, qui plus est un salaud, un corrompu, pourtant l’homme qui se fait appeler Rorschach, tenace et adepte de la violence pour faire régner la justice, se penche sur son cas — et reste persuadé que le tueur frappera à nouveau. Une course contre la montre s’engage. Nixon menace par l’arme nucléaire ses ennemis et l’horloge tourne aussi de ce côté-là. Une uchronie pas si éloignée qui permet aux auteurs de proposer l’histoire ultime des super-héros. Une déconstruction du genre et une critique de ses héros qui révèlent leurs côtés sombres.

Le parti pris graphique de Dave Gibbons associé au coloriste John Higgins rend cette atmosphère pesante et glauque, un univers sombre avec son horloge qui rappelle à chaque chapitre qu’on se rapproche de la 3e Guerre Mondiale. Le dessinateur propose un style acéré, qu’il encre lui-même et où il joue avec les symboles iconiques qui jalonnent l’œuvre. Pour coller à ce style réaliste, il abandonne onomatopées et traits de vitesses, symboles propres à la bande dessinée pour s’éloigner des codes omniprésents dans les comics de cette époque.

Récit dans le récit, plusieurs histoires entre chassées, épisodes en palindromes, jeux de symboles et de correspondances, carnet intime, rapports psychiatriques, extraits de journaux… Extrêmement construite avec un découpage et un scénario qui frise la partition au fil de ses 12 chapitres millimétrés : toute l’œuvre est une invitation à réfléchir au médium & au genre autant qu’une série passionnante façon polar hard-boiled.

Comme pour V pour Vendetta, un de ses précédents ouvrages, Alan Moore reprend la thématique de la surveillance étatique, de la justice & ses dérives et de la liberté que prennent les justiciers masqués sans rendre de comptes à personne. « Who watches the Watchmen ? » Qui garde les gardiens eux-mêmes est le leitmotiv qui traverse l’œuvre. Une réflexion qui transpire dans pas mal de comics, mais qui est mise en lumière de plusieurs manières ici.

Le Dr Manhattan, seul héros avec des pouvoirs réels qui pourrait mettre un terme à ce conflit (les autres n’ayant que de super aptitudes à la manière de Batman) est tellement puissant qu’il s’éloigne de plus en plus de l’humanité… Difficile d’en dire beaucoup plus sans faire de spoilers, mais si les surhommes étaient de notre monde, on imagine bien que cela ressemblerait à cette vision sombre & réaliste plus qu’à aucun autre récit.
Voici « la fin des super-héros » telle qu’on peut la rêver.


Illustration principale : © Alan Moore / Dave Gibbons / Urban Comics / DC Comics

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