« À mon retour en France, on m’a demandé si c’était bien la Chine. Ce à quoi j’ai répondu que les Japonais, en tout cas, y étaient très accueillants. »
Hasard ou chance, je tombe sur un jeune auteur en dédicace il y a quelques années qui présente un livre entre la BD et le carnet de voyage, un album très décalé par rapport à la production du moment. En le feuilletant, c’est la claque : le ton, les perspectives, les cartes & les décors,… ce carnet de voyage sous forme de catalogue de situations et d’objets exotiques m’a immédiatement adopté. Ou l’inverse. Et quelque temps après, le livre est partout !
Quand on s’intéresse au Japon et au dessin difficile de passer à côté de ce beau livre emplit de strips, de conseils, de mots en japonais, de plans de ville, de bonnes adresses, de choses inutiles, de dessins d’ambiance, de caricatures, … Peut-être l’ouvrage qui donne le plus envie de se rendre sur place –pour l’avoir lu avant de partir à Tokyo et relu après.
Le projet est un peu fou, notre héros suit sa copine en expat’ au Japon et décide de parcourir les rues au hasard et à vélo et de dessiner ce qu’il voit, ce qu’il entend, les gens qu’il rencontre. Ce carnet devient un rituel au fil des semaines et lui permet de nouer des relations, de comprendre ce pays étrange. Au point qu’il va tenter de partir sur une île isolée de l’archipel avec le même concept et en tirer un second carnet : Manabé Shima.
Après ces deux coups de maître, il s’est essayé à la fiction avec Petites Coupures à Shioguni, un polar drôle et graphique qui se déroule au Japon et L’Île Louvre, dans la belle collection du musée qui propose à des artistes de s’approprier le lieu. Sans lâcher sa technique aux crayons de couleur, ses perspectives éclatées et ses apartés dessinés qui ont fait son succès, Florent Chavouet nous surprend encore. Petites Coupures à Shioguni remporte même le Fauve Polar au Festival d’Angoulême 2015 (en même temps, Tokyo Sanpo a remporté le Prix Ptolémée du Festival international de géographie de Saint-Dié-des-Vosges. Et Manabé Shima, le Prix Pierre Loti 2011) Mérité !
« Yen a marre des bisous et de la tendresse, vive la guerre et les méchants »
Un auteur qui se démarque surtout au niveau du style comme vous pouvez vous en rendre compte d’un coup d’œil sur les planches ci-dessous. Tout aux crayons de couleur, proche du dessin d’observation mais en prenant quelques libertés, son trait oscille entre le réalisme et la caricature nous embarquant dans sa vision du monde toute personnelle.
Son travail sur les perspectives, les vues par dessus des appartements, un effet proche du fish-eye en cinéma crée un sentiment de complicité avec le dessinateur et nous aide à ressentir ses découvertes.
Découpé en quartier avec ses interludes loufoques, ses essais de « sociologie facile », ses mini-strips, ses pages de paysages ou d’étude de publicité, ce carnet de voyage semble construit à l’image des réflexions de son auteur, de son cheminement de pensée face à ce monde nouveau. Une ballade curieuse et pleine d’esprit à l’autre bout du monde. Un univers qui paraissait inaccessible par sa langue difficile mais assez proche par l’image et le dessin omniprésent dans la société japonaise.
Vraiment atypique, l’humour et les dessins de Florent Chavouet valent le détour avec ce premier carnet (et le suivant.) Je vous conseille fortement de vous pencher sur Petites Coupures à Shioguni où son talent explose graphiquement derrière une fiction plus classique qui garde quelques pépites d’humour et de pages d’interludes.
Images extraites de l’album © Florent Chavouet/Picquier
