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par Rémi I. - le 20/03/2020
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par Rémi I. - le 20/03/2020

Sengo, plongée douce-amère dans le Japon d’après-guerre

Les éditions Casterman continuent à creuser le sillon du manga de qualité, exigeant et adulte en publiant les premiers tomes de « Sengo » de Sansuke Yamada.

Sengo de Sansuke Yamada, Casterman
Sansuke Yamada dédicaçant durant le festival internationale de la BD d’Angoulême 2020. © Rémi I.

Né en 1972, Sansuke Yamada fait partie de ces auteurs pour qui le métier de mangaka n’est qu’une compétence parmi d’autres. Diplômé de l’Université d’art d’Osaka, il s’est tout d’abord tourné vers la presse gay pour publier des illustrations et histoires. Ce n’est en 2013 qu’il commence sa série Sengo dans l’exigeant magazine Comic Beam (Thermæ Romæ, Les Chefs-d’œuvre de Lovecraft, Wet Moon…). Auteur au parcours atypique, il est également un acteur et un musicien qui a sillonné le monde avec son groupe. Suite à la fin de son manga en 2018, il a reçu le Prix du jeune talent au Prix Culturel Osamu Tezuka et le Grand Prix de l’Association des auteurs de bande dessinée japonais, deux des plus importantes récompenses du métier.

Une guerre terminée et des humains anéantis

Sengo de Sansuke Yamada, Casterman
Couvertures des tomes 1 et 2 de Sengo.

Avec Sengo, le mangaka s’approprie un genre de manga connu, le manga de guerre, en le déconstruisant pour mieux mettre en avant son propos. Plutôt que de se centrer sur les conflits armés, il s’attache à décrire le Japon et ses habitants suite à leur défaire de 1945. Il y montre avec une objectivité soutenue la guerre sans s’attarder sur les événements, mais sur les héros qui reviennent à demi morts, dévastés par le conflit.

Généralement on traite de la guerre, de la défaite ou de la reconstruction. Là, l’auteur a décidé de se centrer sur une sorte de bromance en plein Tokyo, sous contrôle américain, et réduit en ruine par la Seconde Guerre mondiale. On pense évidemment à la vision militaire de Shigeru Mizuki dans Opération mort, mais aussi au beaucoup plus récent Peleliu – Guernica of Paradise de Kazuyoshi Takeda et sa description crue des événements tragiques.

Les deux personnages principaux sont deux soldats démobilisés suite à la défaite du Japon : Tokutaro Kawashima et Kadomatsu Kuroda. Les deux réagissent de deux manières différentes à leur retour au bercail : le premier se réfugie dans l’alcool, alors que le second se perd dans la gaudriole.

Un pays ravagé

Sengo de Sansuke Yamada, Casterman
© AREYO HOSHIKUZU © YAMADA Sansuke 2014 / KADOKAWA CORPORATION

Mais ces deux individus sont loin d’être les seuls à revenir du front et à souffrir quotidiennement de tout ce qu’ils ont vécu durant cette guerre. C’est toute une population, toute une génération qui traîne meurtrie dans les rues. Ce sont des hommes qui font ce qu’ils peuvent pour oublier l’horreur des champs de bataille. Certains vont même jusqu’à se suicider, tourmentés par le passé…

En plus de cette dépression qui assomme les habitants, les conditions de vie spartiates mènent chacun à se débrouiller pour (sur)vivre convenablement. Le marché noir se développe, certaines femmes japonaises se laissent aller aux bras des conquérants américains pour sortir de leur quotidien, d’autres se prostituent pour survivre…

L’auteur ne cache rien de la réalité de cette époque, et n’hésite pas à dénoncer les comportements des deux camps. Les soldats japonais rentrés au pays qui sont moqués par la population, les Américains qui vivent dans le Japon d’après-guerre comme de grands héros, les innombrables viols qui sont commis par les soldats, les ordres d’exécution injustes reçus d’en haut… et tout un tas d’autres infamies qui sont le quotidien des épisodes guerriers et de leurs retombées.

Un dessin vintage

Sengo de Sansuke Yamada, Casterman
© AREYO HOSHIKUZU © YAMADA Sansuke 2014 / KADOKAWA CORPORATION

Sansuke Yamada est fasciné par cette époque d’après-guerre. Par sa musique, qu’il pratique personnellement, par ses films qui nourrissent son imaginaire, et aussi par son univers graphique. Entre les dessins satiriques, l’influence du gekiga (voir notamment les œuvres de Yoshihiro Tatsumi et de Yoshiharu Tsuge) et de mangas homosexuels, son trait se façonne loin des sentiers battus. Sa maturité et sa noirceur s’en ressentent. En résulte un récit au charme d’antan. Doux-amer et au graphisme suranné.

Une traduction de haute volée

Impossible de ne pas conclure cette mise en avant sans parler de la traduction de Sébastien Ludmann. Déjà récompensé par le Prix Konishi pour la traduction de manga japonais en français, il rend un travail d’adaptation remarquable. Le jargon fleuri, les tournures de phrases, l’ambiance d’époque, tout y est. On a l’impression de vivre dans ce Japon sonné par la fin de la guerre.


Illustration principale : © AREYO HOSHIKUZU © YAMADA Sansuke 2014 / KADOKAWA CORPORATION

Sengo de Sansuke Yamada, Casterman
© AREYO HOSHIKUZU © YAMADA Sansuke 2014 / KADOKAWA CORPORATION
Sengo de Sansuke Yamada, Casterman
© AREYO HOSHIKUZU © YAMADA Sansuke 2014 / KADOKAWA CORPORATION
Sengo de Sansuke Yamada, Casterman
© AREYO HOSHIKUZU © YAMADA Sansuke 2014 / KADOKAWA CORPORATION
Sengo de Sansuke Yamada, Casterman
© AREYO HOSHIKUZU © YAMADA Sansuke 2014 / KADOKAWA CORPORATION
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