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Critiques
par Jaime Bonkowski De Passos - le 22/03/2021
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par Jaime Bonkowski De Passos - le 22/03/2021

No Guns Life : la victoire « a tout pris »

Pour la sortie du tome 10 en librairie ce mois, on vous propose un retour sur la série No Guns Life, chef d’œuvre méconnu du Cyberpunk. Un détective privé à tête de flingue, une sombre conspiration, des combats ultras-violents… Que dire de plus ?

En matière de science-fiction, le Japon a prouvé à maintes reprises être un vivier de chefs-d’œuvres exceptionnels, et particulièrement en manga. Astroboy, Gunnm, Ghost In The Shell, la liste pourrait continuer encore longtemps. Il y a ces séries qui touchent au génie et dont le succès est à la hauteur de leur qualité, et puis il y a ces autres titres parfois tout aussi bons (voire même plus ?) mais dont le public reste limité à un cercle de happy few. C’est un de ceux-là dont on va parler ici : No Guns Life de Tasuku Karasuma.

Sans parler d’un « succès de niche » (le titre se vend tout de même bien à l’international et s’est vu gratifier d’une superbe adaptation animée qui a bien boostée sa popularité), la série peine à s’imposer au premier plan, la faute aux fluctuations des modes et du marché. Elle vaut pourtant la peine qu’on s’y attarde. Tour d’horizon.

Guerre et paix

© No Guns Life / Tasuku Karasuma / Kana

Tout commence quand la Guerre prend fin. Terrible, mystérieuse, dévastatrice, elle a causé des millions de morts et a chamboulé l’ordre du monde. Mais surtout, au cœur du conflit s’est développée la technologie des Extends : des modifications mécaniques parfois extrêmes de soldats pour en faire des armes surpuissantes. Une fois la technologie mise au point, et quelques déluges de violence plus tard, la guerre prend fin et le manga commence.

On suit Juzo, dernier membre encore en vie de l’unité la plus redouté durant la guerre, qui tente tant bien que mal de survivre dans un monde en paix. Quelle place pour des armes humaines quand la guerre est terminée ? Un flingue greffé à la place de la tête, et un corps entièrement reconstruit pour faire de lui une machine de guerre, il joue les détectives privés en enquêtant sur les crimes commis par d’autres Extends comme lui.

Mais son destin est bouleversé lorsqu’il croise la route de Tetsuro, un gamin traqué par l’entreprise la plus puissante du monde, et qui est à l’origine de la technologie qui a transformée son corps. S’engage alors pour Juzo l’enquête la plus importante de sa vie.

Le Cyberpunk à son meilleur

No Guns Life est un chef d’œuvre du Cyberpunk. Ce sousgenre est à la SF ce que la Dark Fantasy est à la Fantasy : une version plus mature, plus violente, et qui ne fait aucun cadeau à ses personnages. Le genre s’accompagne aussi d’une esthétique très particulière, centrée sur les modifications corporelles technologiques, et mettant souvent en scène un contraste entre une high technology réservée à l’élite, et une technologie plus scrappy, de bric et de broc, qui se pratique dans les bas fonds. Gunnm est LA référence en la matière, mais on peut aussi citer dans la même veine Levius ou dans une certaine mesure Fullmetal Alchemist.

En restant donc fidèle aux codes du genre, No Guns Life impose tout de même ses différences, à commencer par le ton très politique sous-jacent. On reste sur un manga seinen d’action riche en combats et en rebondissements, mais les enjeux de l’intrigue touchent à des questions assez lourdes. D’abord politiques (les élites contre le petit-peuple), philosophiques (où s’arrête l’humanité et où commence la machine), religieuses (la question de l’âme est centrale dans le récit), et historiques enfin (en faisant écho au traitement des vétérans de guerre une fois de retour dans leur pays).

Cette pluralité de ton et de thème est le plus gros point fort de la série, qui reste malgré tout cohérente et jamais pompeuse. Le dosage entre les séquences plus réflexives et les passages d’action est très bien réalisé pour qu’on ne soit lassé ni des uns ni des autres. Et la réflexion de l’auteur autour de chacun de ces sujets est profonde, originale et pertinente : il ne se contente pas d’effleurer quelques thèmes pointus pour se donner un genre mais plonge véritablement dans ces thématiques.

© No Guns Life / Tasuku Karasuma / Kana
© No Guns Life / Tasuku Karasuma / Kana

Et l’action alors ?

© No Guns Life / Tasuku Karasuma / Kana
© No Guns Life / Tasuku Karasuma / Kana

Pour accompagner cette dimension « intellectuelle », l’auteur déploie un talent rare dans ses scènes d’action. Les charas-designs de ses personnages lui permettent d’imaginer des mouvements, des techniques et des confrontations uniques, entre le gun-fight, les arts martiaux et le combat de rue ultra-violent.

Le cyberpunk mettant en scène des personnages aux corps artificiels dont les membres mécaniques peuvent être remplacés à volonté, les combats peuvent verser dans une violence rare. Les corps éclatent, les membres explosent, en un mot comme en mille : les personnages prennent chers. Et Tasuku Karasuma s’en donne à cœur joie.

Au fur et à mesure qu’on progresse dans la série et que Juzo embrasse sa véritable puissance, scellée après la guerre, les combats sont de plus en plus désinhibés, l’auteur entrant dans un jeu de surenchère des plus jouissifs. Et à ce titre, il exploite dans sa pleine mesure l’originalité frôlant l’absurde de ses personnages (un flingue à la place de la tête, vraiment).

Mais contre toute attente, la série reste d’une subtilité et d’une finesse rare. Les personnages sont tous très bien caractérisés, jamais manichéens, riches, autant pour les « gentils » que pour les « méchants ». Le manga est violent mais pas débile, brutal mais la violence n’est jamais gratuite, et l’empathie du lecteur pour les personnages est immédiate et sincère.

Une filiation assumée

La science-fiction Japonaise s’incrit dans une tradition ancienne et très codifiée. À ce titre, on distingue nombre de thèmes et d’archétypes dans No Guns Life qui ne sont pas sans rappeler des œuvres antérieures (ou postérieures). Essentiellement avec la notion du cataclysme qui s’est produit quelques temps avant le début de l’histoire, et qui jette une ombre portée sur toute l’intrigue sans qu’on ne sache jamais trop réellement ce qu’il s’est passé. On retrouve ce thème dès Akira, pionnier du genre avec la destruction de Tokyo qui a mis fin à la guerre, mais aussi dans Gunnm avec les guerres martiennes, Levius et le conflit qui précède l’arrivée de la boxe mécanique, la guerre des Ishbal dans Fullmetal Alchemist… Vous voyez l’idée.

Ce topos rappelle bien sûr le traumatisme vécu par le Japon avec les deux bombes atomiques à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, et on comprend vite que cette idée d’une rupture entre « avant » et « après » une catastrophe sans nom va plus loin que le simple prétexte narratif. Comme dans les autres œuvres citées, dans No Guns Life ce « moment zéro » tisse la trame de toute l’intrigue. Au bout du compte, les personnages ne font que se débattre avec l’héritage laissé par la tragédie, en en interrogeant les conséquences et surtout en posant la question fatidique : est-ce que cette guerre en valait bien le coup ?

Sous un vernis de violence et des designs quasi-absurdes, No Guns Life fait finalement montre d’une réelle richesse, et d’une profondeur caractéristique des grandes œuvres de science-fiction japonaise. L’arrivée du tome 10 en librairie ce mois est donc l’occasion pour nous de vous recommander très chaudement une superbe série qui en sous a sous le capot. Amateur de science-fiction comme néophytes, fans de combats bien vénèr comme de titre à multiples niveaux de lectures, tous les lecteurs y trouveront leur compte. Alors foncez !

No Guns Life par Tasuku Karasuma, Kana, 10 tomes sortis à ce jour (série démarrée en 2014), traduction par Miyako Slocombe


Illustration principale : © No Guns Life / Tasuku Karasuma / Kana

© No Guns Life / Tasuku Karasuma / Kana
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© No Guns Life / Tasuku Karasuma / Kana
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