Coup d’essai, coup de maître, ce premier livre d’Emil Ferris (56 ans) a déjà marqué l’histoire de la BD de sa patte unique alors que le T2 de cette saga de plus de 800 pages n’est pas encore arrivé. L’objet détonne, et l’éditeur n’a rien laissé au hasard pour mettre en valeur le travail de la dessinatrice qui utilise stylos billes, crayons, feutres sur des pages de cahiers spiralés aux lignes tracées.
L’artifice du journal intime reproduit permet à l’auteur de laisser parler Karen, la narratrice, à la première personne et de présenter ce travail comme le carnet d’une jeune fille de dix ans passionnée de récits d’épouvantes vivant à Chigago dans les années 60. Un jeu du vrai et du faux qui se prolonge dans la fiction à travers cette enquête à plusieurs niveaux à la poursuite de l’assassin de la voisine du dessus. Roman d’apprentissage, carnet dessiné & annoté parle des vrais monstres : les humains, derrière les masques de loups-garous, fantômes et autres goules.
Mais les monstres ne sont pas dangereux même s’ils sont effrayants, ce sont ces villageois armés de torches qui ont peur qui sont le vrai danger : de l’avènement du 3e Reich et les camps à l’assassinat de Martin Luther King, du racisme banalisé à la violence ordinaire, le quotidien de cette jeune fille résonne autour de ces problématiques contemporaines et sociétales autant que sa propre exploration de soi, de la sexualité, de l’amitié, de l’art… Un roman monde sur plus de 400 pages, touchant et sincère doublé d’un travail graphique rare et qui ne laisse pas indifférent.
Un roman graphique comme on aimerait en lire plus souvent, premier volume d’un diptyque dont le second volet est prévu pour la fin d’année 2019 en VO. Difficile d’attendre si longtemps, heureusement qu’on peut relire ce premier tome et toujours y trouver quelque chose de nouveau.
Illustration principale ©Emil Ferris / Monsieur Toussaint L’ouverture