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Critiques
par Jaime Bonkowski De Passos - le 17/06/2021
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par Jaime Bonkowski De Passos - le 17/06/2021

le spectateur : vivre une vie

Rien ne peut vous préparer à l’expérience qui va suivre : le spectateur de Théo Grosjean est un tour de force graphique et narratif, un récit puissant et singulier, une vie entière vécue en quelques pages.

© Théos Grosjean / le spectateur / Noctambule

De sa naissance à sa mort, Samuel n’aura jamais prononcé un seul mot. Bébé étrange qui ne pleure pas, enfant bizarre qui recueille les oiseaux blessés même lorsqu’ils sont condamnés, artiste dont le succès lui tombe dessus sans prévenir, il vit avec une intensité égale tant son premier baisé, que la mort de sa mère ou son premier verre d’alcool. Mais surtout, plus essentiel encore, ce garçon extérieur au monde qui observe sa vie en spectateur, c’est nous. Littéralement.

Si résumer le scénario du spectateur est d’une simplicité enfantine, raconter l’expérience de lecture proposée par Théo Grosjean est un véritable challenge. On est le personnage principal. De la première case du récit, qui nous place au bord de l’utérus de sa mère, jusqu’à la toute dernière planche de l’album, d’un noir profond et funèbre, on observe tout le récit à travers ses yeux, comme si c’était nous même qui vivions son parcours sur Terre.

À travers lui on vit ainsi sa naissance puis sa vie de nourrisson, d’enfant, d’ado, d’adulte. On vit ses émois et ses succès, ses chutes et ses envols, les drames de son existence qui sont ceux de toutes les existences. Muet (enfin c’est ce qu’on croit), Samuel observe sans un mot, il s’interroge, ne comprend pas tout. Et il dessine, seul moyen d’expression qui soit à sa portée.

Il est difficile de faire comprendre par les mots la puissance de l’empathie et de l’identification qu’on éprouve pour Samuel à la lecture du livre, et pour cause : tout est fait pour que ses yeux deviennent les nôtres. Il s’enivre : les traits deviennent flous. Il clos ses paupières : la case devient noire, et ainsi de suite. La bichromie du dessin, dans un noir et bleu mystique, évoque le rêve, la mélancolie et fait écho à la place hors du monde qu’occupe Samuel, témoin de son existence comme un lecteur qui lit une BD.

Théo Grosjean nous offre l’expérience d’une vie banale et singulière, pleine d’imperfection et de souffrance mais aussi de beauté et de plaisir. De son trait direct, simple et efficace il nous emporte dans un tourbillon d’émotions qui fait l’économie du mot sans jamais perdre en clarté et en lisibilité. On est assurément face à un jalon dans la bibliographie de l’auteur.

le spectateur est une preuve supplémentaire de la puissance unique que recèle la bande dessinée. Un tour de force narratif, une explosion graphique sans pareil, et une absolue réussite sous tous les rapports. Une lecture émouvante, captivante, qui secoue et laisse des cicatrices.

le spectateur par Théo Grosjean, Noctambule


Illustration principale : © Théos Grosjean / le spectateur / Noctambule

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