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Incontournables
par Thomas Mourier - le 12/10/2016
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par Thomas Mourier - le 12/10/2016

Le club des divorcés de Kazuo Kamimura

En fouillant loin des bacs des nouveautés dans une librairie amie il y a presque une dizaine d’années, je tombe sur un petit manga gris, Lady Snowblood. Rien d’autre que le manga qui a inspiré Kill Bill de Tarantino. Et derrière cette histoire de vengeance passionnante et trash, se dévoile l’éclatant dessin de Kazuo Kamimura…. Lire la Suite →

En fouillant loin des bacs des nouveautés dans une librairie amie il y a presque une dizaine d’années, je tombe sur un petit manga gris, Lady Snowblood. Rien d’autre que le manga qui a inspiré Kill Bill de Tarantino. Et derrière cette histoire de vengeance passionnante et trash, se dévoile l’éclatant dessin de Kazuo Kamimura. Ce n’est que plus tard que je redécouvrirais l’auteur avec plaisir avec La Plaine du Kantô et surtout Le club des divorcés.

Points de sabres et de combats physiques, dans ces œuvres Kamimura s’attaque aux combats sociétaux. En filigrane de ses mangas vont apparaître le contexte politique du Japon des années 50–60 et son chômage omniprésent. Autour de lui, les grands enjeux camouflés par un gouvernement et une ville de Tokyo en pleine explosion technique et économique : le divorce, la pauvreté, le suicide et le mal-être de ces Japonais déclassés.
Au cœur de l’histoire, Yûko, cette jeune divorcée qui se bat pour sauver son bar et retrouver l’affection de sa fille, nous entraîne assez loin. Le plaisir de ces planches passe dans ces détails sublimés, dans ce quotidien qui oscille entre le tragique et le banal que l’auteur décrit avec beaucoup de poésie et d’humour. Une romance d’autant plus forte que l’auteur avoue qu’il y a beaucoup d’autobiographie dans cette histoire, autour de son enfance passée dans ces clubs suivant sa mère qui possédait un bar. D’ailleurs il apparaît à deux moments clefs de l’histoire en ivrogne pervers, ce qu’il déclare être devenu dans plusieurs interviews à la fin de la publication de cette série. Une irruption comique qui ouvre quelques pistes de lecture et qui n’est pas sans rappeler Tezuka, autre grand habitué de cette pratique qui adorait se représenter en personnage un peu naïf ou coquin.

« — Dès que la fille la plus populaire perd sa position de numéro 1, elle se case tout de suite avec un homme. Et là, c’est le début de la fin, comme une pierre roulant au bas d’une pente.
Je peux vous citer un tas d’exemples. C’est vraiment Like a rolling stone !
– Hmm ?! Mama, vous connaissez Like a rolling Stone ?!
– Mais j’adore Bob Dylan moi !
– Oh ! »

L’histoire d’amour impossible entre elle et Ken, son employé, offre à l’auteur l’occasion d’explorer toutes les facettes de ce personnage féminin fort, avec ses aspirations, ses craintes qui dessinent une dimension intime peu courante de la caractérisation des personnages féminins de l’époque. Car Kamimura est un mangaka assez atypique de cette génération, son dessin tranche avec le style gekiga alors en vogue : surtout dans le registre où ses histoires s’inscrivent.

Venant du milieu de la publicité et du graphisme, il n’hésitera pas à tenter des expériences, changeant parfois d’outils et de style au cours de la prépublication, cherchant à s’approcher d’une forme d’épure. De même qu’il intègre directement dans ses planches des graphiques et des statistiques sur les mariages et divorces, on trouve des illustrations de vrais et faux livres de contes pour enfants ; et tout le manga s’articule graphiquement autour de motifs de fleurs qui tranchent avec les décors très urbains de l’œuvre.

Le trait du dessinateur s’épaissit ou s’amenuise selon l’émotion, le décor disparaît souvent, et parfois ce sont les visages qui s’effacent, accentuant encore la dramatisation et le malaise devant ses hommes interchangeables qui hantent ces bars à hôtesses. Ce manga assez court est une belle porte d’entrée pour découvrir l’univers de Kamimura, une romance réfléchie qui ne laisse absolument pas son lecteur indifférent.

« Tout a un côté un peu triste, c’est parfait. »

Images extraites de l’album © Kazuo Kamimura/Kana

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