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Incontournables
par Thomas Mourier - le 10/05/2019
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par Thomas Mourier - le 10/05/2019

Découvrir les mangas — ép.2 : Les Shōjo classiques

Nous avions attaqué les mangas avec un premier dossier consacré aux shōnen, voici le deuxième volet dédié aux shōjo (avant les prochains sur les seinen, les grands auteurs et les nouveaux auteurs à suivre du manga). Un dossier spécial shōjo manga qui permet de rappeler que ce terme désigne une classification éditoriale et que ces… Lire la Suite →

Nous avions attaqué les mangas avec un premier dossier consacré aux shōnen, voici le deuxième volet dédié aux shōjo (avant les prochains sur les seinen, les grands auteurs et les nouveaux auteurs à suivre du manga). Un dossier spécial shōjo manga qui permet de rappeler que ce terme désigne une classification éditoriale et que ces mangas ne sont pas réservés à des lectrices (comme le shōnen n’est pas que pour des lecteurs), au delà de l’usage marketing qui est parfois trompeur dans une débauche de rose bonbon ou de kawaï à toutes les sauces : ces œuvres sont pour tous les publics et il serait dommage de passer à côté de grandes œuvres du manga pour des a priori.

Comme pour chaque dossier, cette liste de 10 titres est un point de départ à enrichir et compléter (n’hésitez pas à indiquer d’autres titres en commentaires) mais avec ces séries : vous avez de bonnes pistes de lectures pour vous y mettre.

Sommaire 📰

1. PRINCESSE SAPHIR
2. LA ROSE DE VERSAILLES
3. SAILOR MOON
4. HANA YORI DANGO
5. FRUIT BASKET
6. NANA
7. NODAME CANTABILE
8. LE SABLIER
9. SAWAKO
10. ORANGE

1. PRINCESSE SAPHIR

3 volumes chez Soleil/Tonkam – série terminée

L’une des œuvres les plus connues d’Osamu Tezuka (Lire l’incontournable) est l’un des mangas fondateurs du genre shōjo, manga destiné aux adolescentes, en miroir du shōnen adressé aux jeunes garçons. Fort de ses immenses succès, Le Roi Léo et Astro Boy l’année précédente, il est contacté pour proposer une histoire originale dans le magazine Shōjo Club. Ce sera Princesse Saphir, une jeune femme au cœur double homme et femme qui devra se battre, cacher ses sentiments et se faire passer pour un prince afin de devenir l’héritière de son propre royaume. Jeu sur les genres et les stéréotypes, Tezuka utilisera souvent cette thématique dans ses œuvres : il installe son héroïne dans une position compliquée où le regard de l’autre est plus destructeur que le diable qui suit son évolution. Ce conte de fée inversé permet au mangaka d’aborder des questions de société dans cet univers de fantasy et de mettre en avant un personnage féminin fort malgré l’ambiguïté. L’œuvre a une double influence de l’aveu de l’auteur, impossible de passer à côté de l’empreinte des productions Disney dans la narration mais surtout dans le dessin. Les Grands classiques de l’animation américaine de Blanche Neige à Alice, en passant par Cendrillon, Pinocchio, Bambi,… sont arrivés au Japon et Tezuka n’est pas passé à côté, y puisant inspiration et défi à relever. L’autre influence est le théâtre de Takarazuka, où l’auteur a passé une partie de son enfance, un théâtre uniquement joué par des femmes qui interprétaient tous les rôles alors que les différents théâtres traditionnels japonais sont plutôt joués par des hommes qui interprètent hommes et femmes. Un théâtre de femmes en costume qui donna des clefs au mangaka pour que Saphir puisse endosser tous les rôles.

Le style d’Osamu Tezuka est déjà très rodé avec les milliers de pages publiées depuis 1946 et ses séries phares citées plus haut et cette incursion dans le manga ciblé pour un public de jeune fille n’est pas son coup d’essai. Deux volumes à l’esthétique très Disney étaient précédemment sortis The Four Fencers of the Forest & The Story of a Miracle Forest (non traduits en Français), on y trouvait déjà le style cape & d’épée de Saphir mais également les transformations (d’humains en animaux cette fois), l’usurpation des rivaux machiavéliques, un lyrisme et une mise en scène des sentiments qui forment une partie du canon. Et surtout ce graphisme en rondeur avec ces personnages plus allongés, ces personnages androgynes et, symbole de la production future : de grands yeux exagérés, inspiré par Bambi et les dessins animés des frères Fleischer. Princesse Saphir sera la réécriture de ce matériau brut et ces influences en une fresque réussie et inoubliable, influençant les œuvres suivantes de la romance aux magical girls.
Toujours plein d’humour, de clins d’œil et d’autodérision en se mettant lui-même en scène, le “Dieu du manga” n’a pas son pareil pour faire cohabiter un récit dense et prenant avec un enchaînement de gags visuels ou de blagues potaches. Du grand art. Inépuisable Tezuka, attendez-vous à le retrouver à plusieurs endroits de ce livre.

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2. LA ROSE DE VERSAILLES

3 volumes chez Kana – série terminée

La Rose de Versailles, l’autre grand classique fondateur que vous connaissez peut-être sous le titre de l’adaptation animée Lady Oscar. Fresque historique inspirée de faits réels et fictions à tiroir, la Rose de Versailles ouvrira la voie au shōjo moderne. Avec un propos littéraire et historique, Riyoko Ikeda introduit une nouvelle dimension au manga encore dominé par le style Tezuka dans les années 1970. Inspiré de la biographie de Marie-Antoinette par Stefan Zweig, la mangaka va effectuer un gros travail de recherche pour rendre crédible son histoire et son dessin en donnant à voir personnages historiques, événements clefs, vêtements, décors et paysages de l’époque. Un imaginaire puissant, même si beaucoup d’éléments ne correspondent pas à la réalité, qui va marquer des générations de japonais renforçant leur image idyllique de la France.

De la royauté et tout son faste à la Révolution, elle met en scène un moment clef de l’Histoire à travers des vies de femmes qui ont voulu prendre leur destin en main. Travail engagé sur ces figures de jeunes filles qui s’émancipent, les 3 héroïnes qui se partagent l’affiche de cette saga de plus de 2000 pages vont faire des choix personnels malgré les attentes familiales et la pression sociale.
Dans la continuité de Princesse Saphir, elle introduit aussi un personnage de travesti qui devient une des clefs de l’histoire : Oscar François de Jarjayes, cette jeune fille élevée comme un garçon qui devient capitaine de la garde et aura un grand rôle dans la Révolution. Inspiré de deux personnages historiques, le véritable Chevalier de Jarjayes et le Chevalier d’Éon. L’une de ces roses de Versailles, cette jeune beauté à la poigne de fer, fait le lien entre tous les personnages, les intrigues amoureuses et mettra en relief l’ascension puis la chute de Marie-Antoinette. L’ambiguïté sexuelle sera au centre du récit avec ce personnage, mais le manga aborde aussi de manière moderne les relations supposées entre Marie-Antoinette et la Comtesse de Polignac ou avec Jeanne de la Motte, ou encore l’amour de Rosalie Lamorlière pour Oscar…

Graphiquement, on ressent également l’influence de Tezuka même si Riyoko Ikeda crée un style bien à elle, et propose beaucoup d’innovations dans la composition des planches. Elle instaure un système de plans qui lui permet de mettre en avant les personnages en gros plan, en surimpression des cases en arrière, créant une lecture à deux vitesses. Le lecteur peut admirer le travail sur les costumes et les coiffures des portraits avant de se plonger dans les cases narratives. Pour renforcer cette idée, elle alterne un trait classique et élégant avec un style comique, déformé et cartoonesque aux traits évoquant les personnages loufoques dont Tezuka ponctue ses récits pour commenter l’action. Ikeda se sert de ce dispositif pour introduire un peu d’humour et de légèreté mais surtout pour faire avancer l’histoire à grands pas entre les scènes qu’elle développe.

Un art de jouer avec la temporalité doublé d’audaces graphiques qui vont donner une impulsion à tous les créateurs et créatrices de shōjo par la suite. Œuvre fondatrice qui reste très moderne et agréable à lire, contrairement à d’autres qui ont pris un coup de vieux, la Rose de Versailles reste un des grands essentiels à lire pour les amateurs de manga (on précise que les deux premiers volumes suffisent, le 3e compile des histoires annexes moins intéressantes).

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3. SAILOR MOON

12 volumes chez Pika  – série terminée

Fan de Super sentai (version japonaise des super-héros) Naoko Takeuchi décide de mixer les codes du sentai avec ceux du magical girl (où de très jeunes filles investies d’un pouvoir doivent protéger un royaume en danger.) Elle commence par créer Codename : Sailor V en 1991 où une fille de 13 ans reçoit des pouvoirs et devient Sailor Venus. Au fil des planches où Minako cache son identité secrète, se transforme pour faire régner la justice, et elle cherche d’autres Sailors.

En 1992, Naoko Takeuchi lance une nouvelle série, Sailor Moon, où elle reprend sa première histoire pour faire des Sailors une ligue d’héroïne originale. Des justicières aux ordres de Serenity de la Lune, qui disparaissent suite à un conflit précédant l’humanité, avant de se réincarner sur Terre au retour de l’entité ennemie. L’héroïne Usagi Tsukino est choisie pour être Sailor Moon, une réincarnation de la princesse guerrière Serenity qui doit rassembler les autres Sailors pour lutter contre la démoniaque Beryl. Les enjeux montent et l’histoire se développe autour de ces caractéristiques avec une foule de personnages nouveaux.

lle développe un univers plus riche et complexe que les aventures répétitives de Codename : Sailor V en insufflant des références à un conte traditionnel japonais, le conte de la Princesse Kaguya (que vous connaissez si vous avez vu le très beau film d’Isao Takahata du Studio Ghibli). Elle fusionne des éléments du folklore traditionnel & de la culture populaire, et introduit le langage du shōnen entre les scènes de combat, les attaques invoquées et la mise en scène de ceux-ci. Succès immédiat pour cette série qui devient un phénomène culturel pour plusieurs générations.

Le titre à un peu vieilli au niveau des canons esthétiques surtout en comparaison des titres contemporains : avec un dessin très porté sur le chibi (chibi ou super deformed pour ces personnages déformés avec le plus souvent une tête disproportionnée pour donner un côté mignon ou humoristique.) Et des éléments “girly” disséminés au fil des pages : paillettes, fleurs, coeurs ou étoiles. Le style s’affirme au fil des planches et les derniers volumes sont remplis de décors cosmiques grandioses qui tranchent avec les fonds absents des débuts. La composition des planches regorge de traitements différents qui dynamisent ce récit (qui lui, reste un peu répétitif dans la construction de l’intrigue et l’enchaînement des combats.) Et Naoko Takeuchi s’offre des planches très “blanches”, évanescentes où seules des lignes de force sont crayonnées, des moments de respirations qui ponctuent l’oeuvre pour matérialiser la magie ou le flot des émotions.

Grand classique, même si beaucoup ne connaissent que les versions animées, un peu différentes et abrégées, sa lecture peut surprendre par le côté vintage sur le plan graphique et paraître trop datée sur le plan narratif comparé aux oeuvres actuelles. Mais Sailor Moon reste une oeuvre importante dans l’histoire du manga et continue de séduire de nouvelles générations de fans.

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4. HANA YORI DANGO

37 volumes chez Glénat – série terminée

Peu connu en France, c’est l’un des plus gros succès tous genres confondus au Japon, Hana yori dango est LE shōjo de référence dans l’archipel nippon. Yōkō Kamio décrit la vie d’un lycée de l’intérieur, en particulier les relations compliquées que peuvent avoir les élèves entre eux, des clans au harcèlement. En se plaçant dans un cadre très familier des japonais et en décrivant des situations habituellement passées sous silence ou les différences de classes sociales dans un Japon en pleine récession économique au début des années 1990 ou encore le thème des mariages arrangés… Des sujets très forts et inédits sous cette forme qui ont poussé la série aux sommets des ventes. L’autre idée forte de Kamio est d’avoir proposé une héroïne qui se dégage des clichés, qui bien que humiliée et repoussée par les héros masculins se bat pour ses convictions, un personnage fort qui arrive à vivre une histoire d’amour complexe sans être soumise, comme on le rencontre dans beaucoup de shōjo moins travaillés.

La jeune Tsukushi intègre une école de riches, elle qui est pauvre se voit mise au ban de cet entre-soi qui domine le lycée, en particulier un groupe de garçon surnommés F4 qui font la loi dans l’établissement. Au point de mettre leurs menaces à exécution et s’en prendre physiquement et moralement à leurs victimes. Peu après son arrivée Tsukushi s’interpose entre une victime et les F4 et devient leur prochaine cible, devant sa résistance et sa ténacité la jeune femme résiste et va gagner une place dans ce groupe. S’en suivra une histoire d’amour à épisode avec l’un d’entre-eux Dômyôji, entre Amour, gloire & beauté et Dallas pour les cadres luxueux des engueulades et des machinations familiales, les introspections dans la soie : la mangaka dresse un portrait amer de la jeunesse dorée. Je ne sais pas si on peut parler de réalisme, bien que le cadre et les thèmes le soient, tant la violence envers le personnage principal est hallucinante (passage à tabac, tentative de viol, humiliations publiques…) ou les intrigues rocambolesques que permettent l’argent.

Côté graphique, le découpage est très classique et le style manque un peu de personnalité au final tant il n’est qu’au service de l’histoire. Un peu hésitant sur les premiers chapitres, le trait évolue et s’affine au fil du récit, et l’histoire l’emporte. Un peu dommage pour un titre si fort et c’est peut-être ce qui explique le succès moindre à l’étranger.

Pourtant l’œuvre continue de fasciner et de dominer les top des ventes et top des votes japonais pour son caractère atypique et ses situations “quotidiennes” à la fois familières et hors du commun. La série est terminée  et a donné de nombreuses adaptations en série, drama et même jeux vidéos et continue d’être adapté dans pas mal de pays d’Asie.

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5. FRUIT BASKET

12 volumes en perfect edition chez Delcourt – série terminée

Une saga importante pour les lecteurs français, puisqu’elle lance l’engouement du shōjo dans l’hexagone, avec Nana en 2002. Série phare des années 1990, assez emblématique graphiquement du genre, Fruit Basket est une bonne porte d’entrée pour en découvrir les thèmes et codes dans une version édulcorée. Natsuki Takaya a su insuffler une dose de fantastique dans un shōjo romantique, des éléments magiques qui s’intègrent au cadre scolaire : décors de prédilection de ces comédies humaines adolescentes. L’autrice frappe fort en détournant un lieu commun du genre pour en faire la base de son intrigue : l’amour chaste où les émotions des personnages explosent de manière exagérée à chaque petit contact physique que l’on retrouve souvent dans ses romances devient ici un enjeu puisque les protagonistes principaux se changent en animaux au contact d’une personne de sexe opposé. Impossible de ne pas penser à Ranma ½ de Rumiko Takahashi à la lecture de ces planches et de ce procédé humoristique, graphique et narratif.
L’autre belle idée est de ne pas avoir donné de pouvoir ou de malédiction à son héroïne Tohru, sa découverte de cette famille étrange est aussi la nôtre et elle laisse ainsi la possibilité aux lectrices et lecteurs de mieux s’identifier au personnage qui gère ses problèmes sentimentaux ou quotidiens de la même manière que nous. Une rupture avec les titres proposés plus haut dans cette sélection où chacune des héroïnes avaient un destin ou des aptitudes hors du commun.

Tohru se retrouve à cohabiter dans une famille où chaque membre se transforme en un des 12 animaux du zodiaque chinois et un chat qui n’en fait pas parti. Une malédiction dont certains essaient de se défaire, là où d’autres ne le souhaitent pas. Derrière cette dimension fantastique, le manga s’attache à mettre en scène la vie de ces lycéens et donne aussi à voir le quotidien des jeunes japonais. Chaque personnage a ses propres aspirations et les relations mises en scène sont nombreuses, tout ne tourne pas autour de Tohru même si elle est le point fixe. Une histoire qui commence de manière légère et qui prendra plus d’épaisseur au fil des recueils.

Côté dessin, cette série ne brille pas pour son esthétique si ce n’est un soin particulier apporté aux vêtements et aux looks des protagonistes qui contrastent avec les effets chibi des versions animalières des héros. Plutôt simple et cherchant l’efficacité, le trait sert le récit et se place dans le canon avec ses personnages élancés aux grands yeux, aux visages anguleux.

Dix ans plus tard, après d’autres séries à succès, elle dessine un spin-off avec Fruits Basket Another, qui se passe après la saga initiale en reprenant les lieux et des thèmes de la série d’origine. Un peu anecdotique, complémentaire si vous avez du mal à vous séparer des personnages à la fin de Fruits Basket.

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6. NANA

21 volumes chez Delcourt – série en cours

Succès, Nana est l’une des 50 séries les plus vendues de l’Histoire et l’un des premiers shōjo. Un engouement continu malgré l’arrêt brutal de la série en 2009 après 21 volumes, suite à la convalescence de son autrice Ai Yazawa.

Le destin croisé de ces deux jeunes femmes qui ont le même prénom, Nana Komatsu et Nana Ōsaki, vont nous donner des aperçus de la jeunesse japonaise en explorant deux facettes : l’une underground qui cherche à percer dans la musique, et une autre plus classique ancrée dans la culture dominante de notre époque. Ces deux héroïnes très différentes se cherchent et s’interrogent sur leurs relations amoureuses après un départ compliqué. Et si elles ne l’abordent pas de la même manière elles restent liées comme deux facettes d’une même pièce. Les relations sont complexes et les situations ont un impact sur les personnages et surtout, rien n’est idéalisé. Moments heureux ou de complet désespoir, doutes ou secrets, amitiés ou trahisons, toute la palette des possibilités est explorée au fil des années de publication du manga. Pas de tabous non plus, les relations sexuelles sont mises en scène et non éludées dans cette série réaliste, abordant des sujets plus matures que dans les romances habituelles, parfois durs comme les relations entre hommes mariés et lycéennes ou la prostitution… sans pour autant verser dans le hentaï.

La série va se tourner peu à peu vers la compétition entre les groupes de musiques rivaux, celui de Nana Ōsaki et de sa rivale Layla Reira Serizawa avec plusieurs histoires sentimentales compliquées entre plusieurs membres des différents groupe à commencer par l’ex petit-ami de Nana O., Ren Honjô qui a quitté son propre groupe pour rejoindre l’autre. À travers eux, Ai Yazawa dresse un portrait de la scène rock alternative japonaise, elle qui a collaborée avec Courtney Love sur Princess Ai et qui s’inspire des Sex Pistols pour ses personnages & chansons. De manière plus générale, Nana parle de création et de l’Art avec la musique et toutes les coulisses d’un groupe de musique avec ses hauts et ses bas, mais aussi de dessin à travers les amis d’enfance de Nana K. ou encore de mode à travers le graphisme et l’esthétique de la série.

Ancienne styliste, fan de Vivienne Westwood, la mangaka intègre énormément de tenues et d’éléments inspirées par la créatrice dans son œuvre. Tous les personnages ont un look très travaillé et les reproductions de tenues ou de pièces précises abondent. Le dessin très esthétisé donne un caractère évanescent aux personnages. Très élancés, aux proportions atypiques, le parti pris graphique donne un ton assez onirique à la série.

Une série rock qui fera l’objet d’un soin particulier lors de ses adaptations en anime, avec des artistes musicaux de renom pour ce manga qui démarre comme une romance un peu légère et qui évolue vers un phénomène de société, avec sa retranscription de la vie tokyoïte et en particulier du quartier branché de Shibuya.  Avec plusieurs adaptations animées et live, le succès est toujours au rendez-vous dix ans après, et si les fans attendent toujours la conclusion de la saga, vous avez tout un univers à découvrir.

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7. NODAME CANTABILE

23 volumes chez Pika – série terminée

Restons dans la musique mais loin du punk et du rock garage avec Nodame la pianiste excentrique & le très scolaire Chiaki. Mais loin d’être rasoir, l’humour et la mise en scène de ce manga en font une série cool et déjantée qui est parfois classée en josei. Certes, la musique classique est au centre avec ces pianistes de génie qui étudient les grandes pièces du répertoire et donnent des concerts, mais les personnages jurent, se disputent, déconnent et échappent aux stéréotypes en restant très imprévisibles.

Une histoire d’amour à plusieurs vitesse, qui passe presque au second plan derrière l’importance et les rivalités liées à la musique. L’univers de cette série pousse le contraste entre le sérieux des concertistes et l’absurde où au milieu de Beethoven et Chopin, on “entend” le générique de Powers rangers, ou on croise un déguisement de Mangouste avec mélodica à un concert très chic… Tomoko Ninomiya compose sa série comme un shōnen revisité, avec la surdouée et immature Nodame qui s’entraîne auprès d’un papy pervers, tortue géniale de la clef de sol, avec des concerts comme autant de championnats, des partitions comme techniques à posséder. Avec beaucoup d’humour le titre balance entre les registres, évoque la beauté puis la raille, invoque les émotions liées à la musique puis la grossièreté des personnages, un système ingénieux pour mettre à portée de tous les lecteurs un univers réputé élitiste.

Des couvertures aux illustrations d’ouverture des chapitres, l’approche graphique de la série est atypique et très réussie. Le trait de Tomoko Ninomiya ne cherche pas à idéaliser les personnages mais s’appuie sur le dessin d’observation et le mouvement, ce qui donne des cases et des personnages aux poses étrangement familières mais inhabituelles dans le manga. Même si elle choisit de simplifier les visages et minimiser les détails, son dessin reste enthousiasmant et novateur dans un cadre qu’on croyait fermé par l’habitude à ce genre d’innovations. La mangaka essaie des effets graphiques, des trames décalées ou des effets numériques dans certaines cases pour rehausser la tension dramatique.

Terminée depuis dix ans, avec une suite courte qui a été intégrée aux 23 volumes de l’édition française, elle termine une nouvelle série, 87 Clockers, centrée sur le monde des nerds entre jeux vidéos et bricoleurs de PC (avec tout de même une jeune musicienne qui s’intègre au groupe.) Non traduite chez nous, il faudra encore patienter un peu pour la découvrir.

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8. LE SABLIER

10 volumes chez Kana – série terminée

Après ces longues séries, une plus courte qui s’intéresse au temps qui passe et, chose rare en bande dessinée, voit ses personnages évoluer au fil des saisons. Entre 12 et 26 ans, nous allons suivre Ann et Daigo, de jeunes ados amoureux à adultes essayant de se faire une place dans la société japonaise contemporaine. La série s’ouvre et se ferme sur un sablier qui se brise, un souvenir d’une excursion au musée du sable de Nima où se trouve un sablier géant qui mesure une année complète (au cas où tu vas au Japon et tu ne sais pas quoi faire…). Ce point de départ, et fil rouge de l’histoire donne au lecteur une idée du développement de la série.

Le passage du temps influe sur tout le manga : de la représentation graphique de la nature qui s’infiltre partout, rythmé par ses chapitres qui présentent à chaque fois une nouvelle saison. Mais aussi où les protagonistes vieillissent, la série donne à voir l’évolution de leur relation, des premiers émois, aux rendez-vous réguliers, au sexe et aux discussions sur la construction d’un avenir possible. Peu de manga, et de fictions en général, se penchent avec attention sur ces étapes clefs à la suite, habituellement on passe des flirts ado aux rendez-vous organisés des adultes pressés, du premier baiser aux coups d’un soir. Les thèmes abordés sont forts, derrière l’esthétique édulcorée du titre, et il sera question de sexe, de menstruation, de divorce, de pression sociale, de travail, des dettes, de suicide…

Pour appuyer sur ces sujets et en présenter plusieurs facettes Hinako Ashihara place Ann dans un dilemme entre sa vie à Tokyo et sa vie à la campagne. Une manière de mettre en scène ces sujets à plusieurs endroits, mais aussi le fossé entre la ville et la campagne avec cette centralisation économique et culturelle dans la capitale (qui est très forte au Japon comme en France). Dans un pays où se mêle ultra-modernité et traditions ancrées, difficile de faire cohabiter les deux mondes dans une société libérale qui va trop vite. On pense aux longs métrages Summers Wars de Mamoru Hosoda qui raconte bien cette dualité ou en filigrane de la plupart des réalisations des studios Ghibli.

Le dessin et la mise en scène sont portés par ce souci de coller au rythme de la nature, de dessiner les arbres, fleurs et décors en fonction du temps qui passe. Ces ambiances qui influent ou découlent des émotions des personnages au fil des chapitres. Le trait de Hinako Ashihara est emblématique des mangas du genre avec ses visages épurés aux grands yeux et bouches très expressives, une approche plutôt classique compensée par ses détails liés aux saisons qui donnent une lecture plus riche qu’au premier coup d’œil.  

Une œuvre courte, en huit volumes, complétée par 2 recueils d’histoires annexes sur les divers personnages de la saga (numérotés 9 et 10), et comme pour beaucoup de mangas à succès, le Sablier a eu le droit à une adaptation en série live et un film avec à chaque fois un casting d’acteur doublé pour présenter l’évolution des personnages jeunes puis adultes. Une série idéale pour se lancer dans le genre.

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9. SAWAKO

30 volumes chez Kana – série terminée

Grâce au phénomène mondial du film The Ring qui a popularisé le personnage de Sadako, une figure d’esprit vengeur très présent dans l’imaginaire japonais, il est plus facile de comprendre le point de départ de la série Sawako, qui reste une des séries les plus emblématiques des années 2000 à aujourd’hui. Cette romance assez classique entre une jeune fille marginalisée et le garçon le plus populaire du lycée, démarre de manière humoristique avec ce surnom de Sadako pour la pauvre Sawako, qui se voit exclue de la vie sociale de sa classe et qui effraie ses camarades qui se prennent au jeu. Son apparence physique proche du look de l’actrice dans le film ne joue pas en sa faveur, ni ses lectures de romans d’horreur, ni son extrême timidité qui engendre des quiproquos et entretient la confusion… Et la mangaka joue avec cette idée tout au long de la série avec un humour féroce, entre ses professeurs qui se lancent des défis pour la regarder en face ou les machinations de Kurumi, la grande rivale de Sawako. Toutes deux en pincent pour Kazehaya, le mec cool du lycée, et ce dernier va s’intéresser à notre héroïne lui permettant de sortir de sa mauvaise réputation.

Prévu pour être une histoire courte à la base, Karuho Shiina reprend ses planches pour en faire plus de cent chapitres, où elle va explorer toutes les facettes de ses personnages. Les différentes histoires d’amours et d’amitié, mais certains volumes seront consacrés aux personnages secondaires ou d’autres chapitres sur les parents des héros. Avec un casting réduit, elle tient en haleine des millions de fans autour de ce couple et de leurs proches. Parfois un peu trop mièvre, d’autres moments très juste, la série propose de suivre des moments de vie sans artifices. Et c’est probablement cette apparente simplicité qui démarque cette série des autres.

Assez classique pour la partie graphique, on aurait aimé que les planches suivent la direction des couvertures qui sont inventives et travaillées. Tout est très maîtrisé, mais il y a une volonté de coller aux codes du genre qui est un peu dommage, surtout que certaines cases décalées où l’héroïne apparaît comme un “monstre” sont réussies. Sans en dire du mal, car c’est réussi, mais c’était un regret à la fin de la lecture.

Une série qui compte parmi les plus vendues et les plus lues au Japon, on pourrait la comparer à une version familiale & contemporaine d’Hana yori dango par la proximité des thèmes et des situations (sans les éléments très violents, les critiques de classes sociales et les passages exubérants). Après la fin récente de sa série à succès, l’autrice n’a pas encore annoncé de nouvelle série. A noter qu’il existe une version anime disponible sur Netflix assez proche du manga si vous voulez vous faire une idée.

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10. ORANGE

6  volumes chez Akata – série terminée

Un titre un peu à part dans cette sélection car cette série est passé d’un magazine shōjo à seinen en cours de publication, un fait assez rare.  Et d’autre part, initialement dessinée en 5 volumes, Ichigo Takano a ajouté un 6e à partir du scénario de l’anime Orange -Mirai-.

Romance et vie  lycéenne là aussi, mais avec une pointe de science-fiction : à 16 ans, Naho reçoit une lettre d’elle-même écrite 10 ans plus tard. Futur ou univers parallèle, elle s’interroge sur cette lettre qui lui demande de faire attention pour éviter la mort d’un camarade, mais commence à la prendre au sérieux au fur et à mesure que les prédictions de la lettre se réalisent. Difficile d’en dire beaucoup plus sans gâcher le plaisir des différents rebondissements, mais ces intrigues doublées de prédictions sont ponctuées de flash forward qui montrent des scènes du futur. Le groupe d’amis au centre de l’histoire connaît leurs lots de romance, d’amitié, d’interrogations et de remise en question comme il se doit dans ce type de littérature, mais le thème (assez dur) au cœur de l’intrigue est très travaillé avec ses imbrications en cascade.

Mieux, la construction du manga permet au lecteur de se poser aussi des questions philosophiques sur le libre arbitre ou le déterminisme de manière très simple.

Comme pour l’approche narrative un peu décalée par rapport aux codes du genre, le dessin aussi à quelque chose de différent. Très personnel avec un encrage très réussi qui donne un peu de rondeur et de dynamisme à cette histoire aux accents tragiques. Au niveau du découpage, elle joue beaucoup avec la disposition, la superposition et les tailles de cases pour rythmer son récit qui est essentiellement basé sur les dialogues. Une astuce qui accompagne l’ambiance avec des compositions visuelles, des effets graphiques et de mouvement dans ces lignes qui sont habituellement invisibles pour l’œil exercé du lecteur. L’autrice incorpore pas mal de texte en surimpression ou sans dessin au fil des chapitres, une mise en scène justifiée par les différents morceaux de lettres qui viennent en complément ou en opposition aux situations que l’on voit, un dispositif intéressant de double discours pour alléger les explications et les dialogues des personnages.

Une série intéressante à plusieurs points de vue, à lire en complément de Quartier lointain de Jirō Taniguchi qui traite de la même thématique, mais de manière très différente. Ichigo Takano travaille sur une nouvelle série non encore traduite : ReCollection, avec également un point de départ fantastique où un jeune prof se réveille complètement amnésique face à un jeune homme qui se présente comme Dieu. Une autrice à suivre.

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Illustration principale : ©Tomoko Ninomiya/Kōdansha/Pika

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