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Incontournables
par Thomas Mourier - le 15/03/2017
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par Thomas Mourier - le 15/03/2017

Corto Maltese : le pirate cultivé

Avec ce héros et son double amoral qu’est Raspoutine, Corto Maltese donne accès à une véritable littérature dessinée — selon les mots de Pratt. Et rarement une bande dessinée n’est devenue aussi universelle.

Insatiable voyageur et grand érudit, Hugo Pratt a créé un personnage qui est devenu légendaire dès sa première aventure, La Ballade de la mer salée. Un album qui s’ouvre avec l’un des plus beaux monologues du 9ème art, et qui comporte plusieurs niveaux de lecture.

Chaque personnage, de Corto à Raspoutine en passant par Pandora, semble avoir eu plusieurs vies avant que l’album commence : ce sera la force des récits de Pratt de savoir suggérer plutôt que montrer, d’inviter le lecteur à imaginer, en place de lui livrer une intrigue trop bien ficelée.
Marin sans navire, Corto explore le monde et se retrouve embarqué dans des aventures dangereuses, palpitantes à la recherche de sociétés secrètes ou de trésors perdus. Toujours attentif aux signes, aux coïncidences, aux mythes qui peuplent notre monde il se retrouve aux côtés d’insurgés, à défier des seigneurs de guerre.

Chaque aventure du marin rebelle donne l’occasion à son créateur d’explorer la littérature, la mythologie, les cartes et d’en ré-enchanter les fictions déjà existantes. Le dessinateur joue sur ce subtil mélange d’invention & de documentation dans un cadre très réaliste. Corto est un Tintin qui a un impact sur le monde et connaît son histoire.

Le dessin charnu et sensuel de Pratt a fait immédiatement école, pourtant son trait est reconnaissable entre mille. Véritable travail de stylisation, il abandonne le crayonné pour dessiner directement au pinceau et s’affranchit parfois de certains détails, au profit de l’ensemble, gardant la précision pour l’émotion, sans jamais perdre son lecteur. Maître du noir & blanc, il a également réalisé bon nombre d’aquarelles exceptionnelles. Pourtant, même s’il existe des versions couleur de son œuvre (dont la plupart ont été faites avec sa collaboration), préférez celles en noir & blanc.

Pratt s’adresse à ses lecteurs avec des indices cachés et inscrit son personnage dans une tradition littéraire qui le distingue de ses contemporains. Digne héritier de la littérature des grands voyageurs que sont London, Conrad, Kipling, Shakespeare, Hesse… Corto cite ces auteurs iconiques et les croise physiquement dans ses aventures. Jamais une bande dessinée n’aura étoffé son univers à ce point, ni impressionné tant de dessinateurs qui sont arrivés après lui. Il faut dire qu’au moment où Pratt commence cette série, il a déjà une grande carrière derrière lui : il a dessiné pour de nombreux journaux, a été professeur de dessin en Argentine, et a déjà réalisé plus d’une vingtaine d’albums au moment de l’apparition de son héros fétiche.

Peut-être peu plus difficile d’accès que d’autres séries classiques, il faut passer le “seuil du livre” pour entrer dans l’univers et s’approprier le personnage. Peu d’auteurs sont parvenus à créer une figure aussi mythique, un héros qui contamine d’autres œuvres. Ses aventures ouvrent sur le monde tout en étant passionnantes et inspirantes en elle-même.

🚧 Toute la série est fortement conseillée, avec son flot d’histoires courtes au milieu de grands récits. Les albums existent en plusieurs éditions : noir & blanc ou couleur, en souple ou cartonné pour profiter du trait unique de Pratt. Un auteur qui, récompensé par de nombreux prix, toujours présent en magasin devrait figurer dans toutes les collections.
On pense également à la reprise par Juan Díaz Canales et Ruben Pellejero au T13 est assez réussie. (On a pas encore lu le T14)

Images extraites de l’album © Hugo Pratt / Casterman

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