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Incontournables
par Thomas Mourier - le 8/03/2017
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par Thomas Mourier - le 8/03/2017

Le Gourmet solitaire de Jirō Taniguchi et Masayuki Kusumi

À l’heure où j’avais écrit les premières lignes de cette chronique, nous apprenions la disparition de cet auteur intemporel qu’est Jirō Taniguchi. Une série d’hommages sur différents blogs et média anime les réseaux depuis quelques jours, et de notre côté on s’est dit que le plus bel hommage que l’on pouvait lui faire restait de… Lire la Suite →

À l’heure où j’avais écrit les premières lignes de cette chronique, nous apprenions la disparition de cet auteur intemporel qu’est Jirō Taniguchi. Une série d’hommages sur différents blogs et média anime les réseaux depuis quelques jours, et de notre côté on s’est dit que le plus bel hommage que l’on pouvait lui faire restait de relire son œuvre et d’en faire découvrir une partie méconnue.

Écrit à quatre mains avec Masayuki Kusumi, Le Gourmet solitaire s’attache à des détails infimes, une envie de se perdre dans des réflexions anodines mais précieuses autour de ballades culinaires. Nous suivons les envies et les promenades d’un homme d’affaire, toujours à l’heure du déjeuner, qui se demande ce qu’il peut manger –plaisir qu’il se réserve, tel un jardin secret pour se couper de son travail dont on ne sait pratiquement rien. Chaque découverte est une fête, un nouveau plat rappelle un souvenir, un menu d’autres envies… ce gourmet solitaire décrit et commente les plats qu’il commande, soutenu par un dessin réaliste et généreux ; une esthétique qui nous met littéralement l’eau à la bouche. Un véritable guide de voyage en bande-dessinée.

On a envie de tout essayer, de comprendre ce mode de vie japonais (une culture urbaine très axée sur la consommation permanente, qui ne semble pas avoir la même agressivité que chez nous). Si vous êtes déjà passé par Tokyo, vous avez sûrement croisé ces Japonais qui se promènent leur porte-monnaie en main comme un accessoire de mode, ces queues géantes pour des crêperies, des glaciers ou des fast-food à la mode dans des rues regorgent de boutiques, ces publicités visuelles et sonores omniprésentes, ces hôtes et ces hôtesses qui vous invitent à entrer dans tel ou tel bar, karaoké ou magasin, ces en-cas à emporter partout tout le temps… bref une invitation à dépenser valorisée comme plaisir ultime et but de l’existence mais à la japonaise, avec ce culte de la bienveillance et de l’accompagnement du client.

Autre facette à découvrir, la gastronomie dont les sushis ne sont que la pointe de l’iceberg, révélant une cuisine aussi variée et qu’élaborée. Spécialités régionales, cuisine de tous les jours ou préparations typiques, notre gourmet dresse un portrait de ses contemporains via l’anecdote et les caractéristiques du menu proposé.

La première fois que je suis allé au Japon, je suis devenu ce gourmet solitaire, j’avais envie de tout essayer et de retrouver les spécialités que j’avais vues dans le livre. L’aspect gastronomie est une composante de la découverte d’un pays mais après avoir lu ce manga, c’est devenu une quête amusante, un guide Michelin qui semblait ne s’adresser qu’à moi. À relire avant de partir en voyage, c’est parfait.

Et le manga a été adapté à la télévision avec un acteur qui se rendait dans de vrais restaurants de la capitale avec une conclusion documentaire autour du lieu et des restaurateurs ajoutant encore à l’envie d’en savoir plus.

« — C’est quoi ce sushi-bar ? Les gens ne viennent que pour l’happy hour ?
– Ōtoto et ormeau !
- — Et deux turbos !
– Hé ! Mais il ne reste que dix minutes ! »

Jirō Taniguchi a un dessin que l’on qualifie souvent « d’Européen », lui qui a été un grand lecteur de bandes-dessinées franco-belge. Son trait s’est toujours rapproché de l’épure, d’une ligne claire typée manga bien à lui qui a rendu son style unique et lui a permis de devenir un des mangakas les plus populaires en France. Son sens de la narration et du découpage sert admirablement le propos, avec une économie de texte au service de l’émotion et de l’appropriation de l’histoire par le lecteur, le héros du Gourmet solitaire est un avatar qui nous permet d’intégrer son univers.

Une grande partie des histoires de Jirō Taniguchi évoquent une quête intérieure, une envie de comprendre le monde ou de devenir meilleur. Et ce manga est l’une des rares exceptions à la règle. Les auteurs se permettent de s’attarder sur la saveur de l’instant présent ; un plaisir rare dans notre société hyper connectée qui prône la rapidité et l’efficacité. Laissons le hasard guider parfois nos pas, un principe fondamental dans les histoires du Maître — prendre son temps. Apprécions chaque moment pour ce qu’il est, avec ses propres qualités et ses défauts, à l’image des plats dégustés par notre héros. Je vous laisse, pour aller me promener et pourquoi pas manger un morceau en trinquant à Jirō.

Images extraites de l’album © Jirō Taniguchi / Masayuki Kusumi / Casterman

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