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Édito
par Thomas Mourier - le 7/07/2023
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par Thomas Mourier - le 7/07/2023

“En BD, c’est le format strip que je vénère” d’auteur à l’éditeur, James nous parle d’humour et de sa fabrique.

Avec la sortie de William, 31 ans, scénariste, l’occasion était parfaite pour interroger James sur sa relation à l’humour. Si l’album se penche avec malice sur le quotidien d’un auteur de bande dessinée, James revient sur sa carrière d’auteur et d’éditeur.

autoportrait vintage ©James

Pensé comme un mockumentaire à la The Office, cet album William, 31 ans, scénariste offre une journée dans la vie d’un auteur de bande dessinée, entre confidences, interviews et séquences nostalgie. Entre planches, strips, illustrations, l’album alterne la forme pour mieux mettre en scène le fond, James met à profit toute sa palette humoristique tout en renouvelant son style graphique. Un album très drôle qui rappelle ses premiers strips publiés dans la revue Jade ou sur son blog où l’auteur s’amusait déjà des travers du milieu de la bande dessinée mais avec vingt ans de recul. 

L’album sort dans la collection Pataquès qu’il dirige chez Delcourt depuis 5 ans, aussi nous en avons profité pour l’interroger sur son activité éditoriale, en plus de son travail sur ce dernier album sans oublier de parler technique et de sa vision de l’humour et des prochaines sorties de ce label humoristique.

Tu sors William, 31 ans, scénariste et j’ai l’impression que tu reviens à tes premiers amours de James et la tête X ou tes strips dans Jade qui passaient au crible le milieu de la bande dessinée ? 

James : C’est un projet qui date de 2011-2012. C’était à l’époque pour Fluide Glacial, Thierry Tinlot était le rédac’ chef, quand je lui avais proposé. Les premières pages sont passées dans Fluide, mais c’était dans un autre style, avec mon style animalier, un peu comme dans Open Space, avec un côté plus cartoon. J’avais fait une dizaine de pages à peu près, et puis ça s’était arrêté avec le changement de rédacteurs en chef qui se sont succédé chez Fluide

Donc j’avais toujours ce projet-là qui était en sommeil, que j’aimais bien, et j’ai testé d’autres façons de dessiner récemment avec les projets comme La Vérité nue, ou Anatole(s) un peu plus réalistes au niveau des proportions ou des personnages.

J’avais envie de revenir sur ce projet, effectivement en prenant un peu l’esprit des mauvaises humeurs et le blog avec Boris Mirroir. Donc je revenais à ces amours-là, mais avec un peu plus de recul par rapport au métier, on va dire. Et puis c’était un clin d’œil à mon parcours quelque part.

Justement, tu parles de style graphique qui a évolué, mais dans cet album, il y a plusieurs styles graphiques, il y a pas mal de références & clins d’œil. En humour on a besoin de variations de style en plus des gags ?

© James / Delcourt

James : Le principe de base est que chaque livre soit un défi personnel. Mon style change pas mal à chaque livre, ou même en style d’humour…, les bouquins qui sont plus sociétaux, d’autres, plus absurdes, etc. J’essaie un peu tous les registres pour ne pas m’ennuyer à refaire les mêmes livres. J’avais envie de m’amuser avec ce projet-là. C’est un peu un projet égoïste, mais bon en même temps : les bons livres, les auteurs les font pour eux-mêmes avant tout. 

J’avais exploré déjà plusieurs pistes en style de dessin, et là, j’avais envie de ramener tout ça sur un même livre. Et surtout, d’avoir un livre qui ne soit pas monolithique. Souvent les livres, c’est un style du début à la fin, un style d’humour du début à la fin, un style de rythme du début à la fin. Là, j’ai envie de varier, donc il y a des gags en six cases, du strip un peu à l’ancienne, façon Peanuts ou Calvin & Hobbes, des illustrations stylisées parce que j’ai envie aussi de m’amuser avec un dessin un peu vintage

Et puis, j’ai eu envie de donner cette touche « années cinquantes-soixantes », c’est pour ça que le personnage est habillé de façon un peu anachronique avec son gilet, sa cravate, ses lunettes à monture à écailles ou encore sa coupe de cheveux à la Cary Grant, j’avais envie de jouer ce côté vintage élégant. Puis bon on évite le personnage chauve à capuche qui est le look de la plupart des scénaristes de BD on va dire, j’avais envie d’apporter un prisme différent, de jouer sur différents décalages entre le côté vintage du livre, et le fond très contemporain.

Tu mentionnais Anatole(s), c’est un album qui joue aussi sur les contraintes, puisque les pages font référence à des années de vie, est-ce que là aussi, tu t’es mis des contraintes cachées ? Est-ce que la contrainte ça aide l’humour ?

© James / Delcourt

James : Oui, moi, je travaille qu’avec ça ; si je n’ai pas de contraintes, je ne fais rien. Il faut que j’aie des contraintes pour que je trouve des solutions pour les contourner, ou pour les combattre. C’est pour ça que j’aime beaucoup les formats courts, il y a 3-4 cases ou 6 cases, en fonction du rythme qu’on choisit, et on se débrouille avec ça. On ne peut pas diluer son propos, il y a une matrice qu’il faut dompter, et j’aime bien cet aspect-là. 

Donc, il faut une contrainte, et si j’ai une contrainte un peu conceptuelle derrière, ça m’aide aussi. Pour Anatole(s), j’avais envie de faire un livre, où le fond et la forme faisaient sens. J’avais l’idée de faire un livre de 80 pages, et en y pensant 80 c’est à peu près la vie d’un homme aujourd’hui ; c’est comme ça qu’est venue l’idée d’une année par page.

Pour William, l’idée c’est la durée de l’interview ou du reportage, puisque c’est une équipe de télé qui débarque pour interviewer William à propos de son métier de scénariste. C’est pour cela qu’il y a l’écran noir quand la caméra est coupée, j’aime bien le fait que le livre se finisse vraiment. Après, à l’intérieur, le truc était de rythmer en apportant différents styles, avec les flash-back sur la jeunesse de William format strips à hauteur d’enfant comme dans Calvin & Hobbes ou les illustrations plus cartoon ou dessins de presse pour d’autres aspects pour allier le fond et la forme.

Graphiquement tu changes de style, avec ce dessin plus proche de la ligne claire, rehaussé de lignes de couleurs (au milieu de ces variations) ? Tu travailles comment ?

© James / Delcourt

James : Depuis 5 ans, je fais tout à l’iPad, car je suis devenu super presbyte. Dessiner sur papier était devenu une torture, et comme à la base je dessine petit, je ne voyais plus ce que je dessinais. Les traits ne touchaient plus, quand je scannais, mes dessins, c’était horrible… l’iPad m’a sauvé au niveau du dessin. Mais, du coup, ça a aussi transformé ma façon de travailler, je dessine un peu plus grand, je zoome, etc.  J’apprends au fur et à mesure comme je n’ai pas forcément un bagage technique très fort, dans le sens où je n’ai pas fait d’école d’art. 

J’avais toujours été très mauvais en couleur. Pour moi, le dessin c’était juste de l’encre, un trait et voilà. L’avantage, c’est que le numérique me permet d’apporter directement la couleur dans le trait. C’était aussi une façon pour moi, de changer par rapport au livre précédent et d’avoir un dessin qui fasse plus « pub vintage », plus affichiste de ces années cinquantes-soixantes.

C’est cette envie de vintage qui pousse cette référence forte à Schulz qui court dans le bouquin, où c’est plus un hommage, parce que tu es vraiment fan ? 

© James / Delcourt

James : Ah, déjà, je suis fan ! En BD, c’est le format strip que je vénère, je trouve que c’est la définition de ce que l’on peut faire avec la bande dessinée : c’est-à-dire qu’un roman graphique, on peut le transposer en film ou le réécrire en roman, etc. ; le comics strip c’est vraiment le truc qui est propre à la bande dessinée, on ne peut pas le faire autrement. C’est pour ça que c’est la forme un peu ultime pour moi. 

Et Watterson et Schulz ce sont presque des dieux, même si je suis athée. Ça fait longtemps que je pratique ce format strip, j’avais envie de faire une petite touche vintage comme ça ; d’ailleurs le prochain projet que je fais chez Fluide Glacial, c’est un strip avec deux petits enfants qui discutent entre eux de problématiques adultes. On est vraiment dans la filiation avec Watterson et Schulz.

Au niveau de l’écriture, comment tu travailles, est-ce que tu écris tes gags ou tu les poses de manière plus visuelle dans des carnets ? Comment tu conçois ton écriture sur un album comme ça ?

© James / Delcourt

James : Ça dépend. La plupart de temps, c’est quand même la chute qui me permet de remonter le gag et après, c’est essentiellement le texte. Ce que j’aime écrire ce sont des dialogues. Donc ce sont des lignes de dialogues et avec l’expérience, quand j’ai écrit tant de lignes, je sais combien de cases ça va faire, et je sais d’avance comment ça va se découper.

C’est pareil, quand je fais Open Space toutes les semaines pour la revue Challenge : j’écris d’abord mon gag en dialogues et je sais à l’avance, une fois que j’ai fini, dans quelle case va quelle bulle, je sais en gros comment ça se découpe. C’est devenu assez naturel comme écriture. Là, dans William, il y avait une contrainte qui était que les personnages ne bougent pas trop, qu’il fallait dessiner souvent l’appartement ou le bureau de William… Il fallait que j’arrive à varier les décors derrière lui, donc je notais aussi quel environnement je pourrais mettre pour varier les gags par rapport aux autres. Mais ce n’est pas le dessin qui amène le gag, c’est le texte.

Sur cet album, tu as aussi la casquette d’éditeur. Comment tu composes, comment tu tries, comment tu écartes certains gags… vu que tu n’as pas cette personne qui pourrait t’aider à le faire ?

© James / Delcourt

James : Je pratique comme je pratique avec mes autres éditeurs, c’est-à-dire que je ne leur soumets jamais un gag qui ne me plaît pas. Alors, tout n’est pas toujours parfait dans mon esprit, quand je compose des choses, mais je fais le même travail avec moi, en tant qu’éditeur avec d’autres éditeurs : il n’y a déjà pas de passe-droit.

Je ne m’autorise pas des gags moyens, j’ai envie de pouvoir assumer totalement ce que je fais, il faut que ça tienne la route. Donc, je n’ai pas de problème de cohabitation interne entre mes deux casquettes. J’essaye d’avoir le même degré d’exigence personnelle que j’ai par rapport aux autres.

On glisse vers la partie éditoriale, puisque tu es l’éditeur de la collection Pataquès. Comment tu sélectionnes tes auteurs/autrices ? Comment tu sélectionnes les projets ?

James : La collection fête ses 5 ans et au tout début, quand j’ai présenté le projet, c’était les éditions Delcourt qui cherchaient quelqu’un pour piloter une collection d’humour. Je suis arrivé avec une proposition qui est un peu déclinée de l’époque de Mauvais esprit : privilégier le format court et de l’humour très contemporain sur les problématiques sociétales ancrées dans son époque.

J’ai recontacté d’emblée tous les auteurs avec qui j’avais bien travaillé au sein de Mauvais esprit. Le premier livre qu’on a sorti d’ailleurs, c’est Pan ! t’es Mort ! de Guillaume Guerse & Terreur graphique, et à l’époque, ils avaient fait une quinzaine de strips. J’adorais, j’ai fait absolument tout pour que ce soit le premier livre sorti chez Pataquès pour faire le lien entre les deux. Il y a des auteurs comme Fabcaro aussi qui sont arrivés tout de suite et qui ont aidé à consolider la marque Pataquès. Au début, j’ai cherché parmi mes connaissances, des copains de Six pieds sous Terre, Fluide Glacial, un peu Spirou, et puis Mauvais Esprit, c’est ces années de rencontres qui m’ont permis d’arriver avec un premier groupe d’auteurs. Mais l’idée c’était aussi de ne pas voir que des vieux [rires] 

Je suis assez présent sur Instagram, en fait, je l’utilise un peu comme vitrine pour la collection. Beaucoup d’auteurs l’utilisent pour présenter leurs travaux, parce qu’Instagram est pas mal pour faire de la diffusion de BD, grâce au carrousel, le case à case qui permet de mettre 10 cases les unes après les autres. Quand on travaille sur le format court, c’est un lecteur assez pratique pour se faire connaître. C’est comme ça que j’ai pu approcher de nouveaux jeunes auteurs comme Ami Inintéressant un jeune auteur très, très drôle, ou Rémi Lascault (ils ont fait un livre ensemble récemment dans la collection) que j’ai connu via Instagram également. Je pense aussi à Marc Dubuisson qui était déjà là chez Mauvais Esprit ou Karibou par exemple…

J’essaye de jouer sur les deux plans, entre mon « réseau naturel » et de nouveaux auteurs via des réseaux sociaux. Après, je reçois aussi des projets, mais c’est vrai que, la plupart du temps, ça marche toujours mieux quand c’est moi qui vais voir des auteurs et qui leur demande s’ils ont un projet. Dans ce cas-là, ça peut aller très vite. 

Entre Pataquès et Mauvais Esprit, ça fait plus de 10 ans que tu fais travailler des auteurs en l’humour, est-ce que tu as l’impression que ça a un petit peu évolué la manière dont on fait l’humour dans le domaine de la bande dessinée ?

James : Oui les lignes bougent. Je suis issu de la génération blog et ce côté « on raconte son quotidien » a un peu disparu. Et ce n’est pas plus mal, on en a vite fait le tour. Il y avait l’humour « un peu plus classique » chez Fluide Glacial, mais aujourd’hui ce que je remarque, en tout cas sur les réseaux, ce qui est populaire, n’est pas forcément ce qui est bien dessiné.

Ce n’est pas une critique, ça marche mieux quand le dessin est assez synthétique, et qui permet de se projeter très vite dans la lecture. En fait, on lit très vite quand on est sur son téléphone ou sa tablette. Et c’est souvent un dessin très épuré qui porte le gag plutôt qu’un dessin avec plein de décors. En fait, le décor n’apporte pas grand-chose, ça, c’est ma théorie. Tout le monde n’est pas d’accord, mais ça ralentit le regard. 

Du coup, je trouve que la manière de raconter des jeunes auteurs est plus intéressante dans le sens où on se focalise plus sur le rythme. L’humour ce n’est que du rythme. Et pour éviter de divertir le regard, on va aller à l’essentiel. C’est un truc que les jeunes auteurs ont bien chopé.

Après j’ai l’impression qu’il n’y a pas beaucoup d’auteurs qui se lancent dans l’humour. L’humour s’est un peu décalé, maintenant on fait des vidéos, filmer des choses plutôt que de dessiner, j’ai l’impression qu’il y a une sorte de glissement de l’humour. Heureusement et il reste quelques auteurs très drôles et très doués.

Est-ce que tu peux nous faire un panorama des 5 premières années de Pataquès ?

James : Que ce n’est pas parce qu’un livre est bon qu’il se vend. Le marché est très très cruel. 

J’ai le sentiment que tous les livres sont bons, je ne suis pas très objectif, mais je suis fier de tous les livres qu’on a sortis. Il y a des succès attendus, je pense à Fabcaro, Marc Dubuisson ou Karibou & Josselin Duparcmeur avec Salade césar, on savait qu’il y avait un frémissement autour de ça. Et après, il y avait de très très bons bouquins qui vont rester une lecture de happy few… Il faut s’en faire une raison, y a pas de loi, comme pour les réseaux sociaux justement : ceux qui cartonnent sur les réseaux sociaux ne vont pas forcément cartonner en livre par exemple. Il n’y a pas de translation du lectorat. On peut se faire connaître sur les réseaux sociaux, les gens peuvent savoir que les livres existent, c’est déjà bien, mais ce n’est pas un truc qui va récolter des dizaines de milliers de likes sur Instagram qui va forcément se vendre en librairie. Et inversement il y a des choses qui ne vont pas forcément intéresser les gens sur les réseaux sociaux et qui vont marcher en librairie.

J’ai appris qu’il n’y avait pas de règles. Que même un bon livre ne fait pas forcément de bonnes ventes. Un mauvais livre peut faire des bonnes ventes, sauf qu’on n’en a pas chez Pataquès je te le dis tout de suite [rires], mais surtout après cinq ans, ce que j’ai appris, c’est un peu les dessous des cartes. Avant, j’étais uniquement dans la position d’auteur, je ne savais pas comment fonctionnait l’entreprise qu’est la maison d’édition. Maintenant, je vois un peu plus les rouages, c’est intéressant d’en voir des coulisses parce que je reste avant tout auteur. Mon métier principal reste avant tout de produire des livres et des pages pour la presse. Ça déniaise pas mal, ça permet de relativiser un peu les attentes aussi, qu’on peut avoir par rapport à une maison d’édition.

Après le retour sur les cinq ans, disons qu’on a été assez stable, on sort à peu près entre 8 et 10 livres par an. On n’inonde pas le marché de nouveautés, mais on essaie de garder une production assez régulière et qui ne faiblit pas. On a essayé d’être un peu différents, quand on est arrivé sur le marché, on n’a pas voulu proposer des BD classiques. Je suis convaincu que l’humour au format franco-belge ne convainc plus, ne marche plus trop. 

On a essayé de venir avec différents types de format, où le format était adapté au rythme de narration de chaque livre. On avait sorti les petits formats carrés pour faire des bouquins avec des pages de 4 cases, pour du strip, et avoir ce rythme très efficace. C’est vraiment mes formats de prédilection. Et après, on est partis sur un format un peu plus petit que le format franco-belge pour le gag en 6 cases, qui va à l’essentiel. Je trouve que dans le gag « un peu à l’ancienne », où on pose des pages en 4 bandes : c’est beaucoup d’efforts pour arriver à une chute moyenne à la fin. On n’a pas d’efficacité, et pour moi, l’humour c’est du rythme. C’est vraiment la signature que j’ai envie de transmettre avec Pataquès : un humour rythmé et efficace. 

Ça fait très de droite de dire ça [rires] mince !

Est-ce que ça te prend beaucoup de temps par rapport à ton activité d’auteur ? Est-ce que tu arrives à bien partager tes activités ? 

James : Je suis un bordel ambulant. Dans ma tête et dans mon bureau, je suis peu organisé comme garçon. Donc c’est en fonction des contraintes et des urgences, je m’adapte.

Chaque journée est différente, le lundi habituellement je livre une demi-page de ma série Dans mon Open Space chez Dargaud dans le magazine Challenge. Là, j’écris et je dessine ma demi-page avant le lundi midi. Donc Lorène, mon assistante éditoriale chez Delcourt, sait très bien que le lundi je ne suis pas là. Après, c’est en fonction un peu des urgences.


Mais comme je disais, on fait 8 à 10 livres par an donc ce n’est pas non plus une activité comme celle des éditeurs qui vont en faire 20 à 30 où là vraiment, tous les jours, ils doivent faire avancer les projets. Moi, c’est plus par à-coups en fonction des dates de bouclage de chaque livre. Il y a du boulot quand même, je fais un suivi de la création des livres, c’est-à-dire que les auteurs m’envoient des pages au fur et à mesure. Et il y a toujours des discussions sur certains points, certains détails. Ensuite les réunions éditoriales, les réunions commerciales où on présente les projets ; avec des étapes où il faut présenter des projets de couverture, écrire les pitchs qui serviront pour les communiqués de presse… Après, il y a le bouclage, où j’enchaîne une dizaine de relectures du livre. À la fin, je connais le livre par cœur.

Est-ce qu’en tant que directeur de collection, tu leur donnes des conseils ? Tu reprends certains gags ?

James : Oui, tout à fait, mais tout dépend des auteurs. Je m’adapte au caractère de chaque auteur et à ses méthodes de travail. 

Certains auteurs veulent montrer le projet fini, j’accepte, mais ils acceptent, que je puisse faire des remarques, ou dire si le gag ne marche pas. Il y a d’autres qui me proposent le scénario en amont, avant qu’il soit dessiné, et on peut intervenir et le dessinateur peut aussi intervenir dessus. C’est vraiment du cas par cas. Je considère que c’est le livre des auteurs avant tout, donc, je ne vais pas transformer leur travail. Je vais faire en sorte qu’il soit le meilleur possible à mes yeux.

Je suis le tout premier lecteur, ça s’appelle un privilège, et avec l’expérience, je pense que je peux apporter des remarques ou des commentaires, pour aider à ce que ce soit limpide, lisible et drôle. En fonction de mes propres goûts et de mes propres limites, on va dire.

Après il y a des auteurs ou je suis en confiance totale. Je pense à Fabcaro ou Marc Dubuisson ça fait des années qu’on se connaît et j’ai même travaillé avec eux, en tant que dessinateur ou scénariste. Je sais que ce qu’on va me proposer sera déjà parfait. Après, on va discuter de virgules ou de trucs comme ça, et j’essaie de rester objectif par rapport au travail qu’ils m’envoient, mais on travaille en totale confiance.

Comment tu maîtrises aussi la taille des bouquins ? Est-ce qu’en humour, avec les gags, il y a une variable où tu peux en mettre un peu plus ou un peu moins ?

James : Disons qu’on a déjà les contraintes techniques qui sont les cahiers d’impression, on va de 8 pages en 8 pages. L’idée c’est que les livres aient un minimum d’épaisseur, on ne va pas faire des livres de 40 pages, on commence à 56 : nos cartonnés ils font entre 60 et 80 pages grosso modo. Les petits formats font minimum 100 pages (les carrés), il faut que les livres aient un peu de main en librairie, qu’il y ait de la matière à lire. 

Pour la pagination, ça se décide assez vite, parce que ça dépend des contrats d’édition avec l’auteur. Quand l’auteur me présente son projet, la première question c’est « en combien de pages sera ton projet ? » et on part sur une base. Après, il y a toujours la possibilité d’augmenter d’un cahier par exemple, mais on ne va pas aller au-delà. Il faut quand même que le projet soit déjà un peu clair dans l’esprit de l’auteur. 

Un des principes de la collection, et un truc que j’aime bien, c’est d’avoir des formats courts, du gag en une page ou du gag en strip. On a pas mal de projets qui présentent un récit, qui est découpé de gag en gag. C’est une contrainte dans la contrainte, qui apporte un vrai plus, on peut lire chaque page indépendamment, mais mises bout à bout c’est un récit. Donc là, forcément, quand tu écris ton histoire, tu sais en combien de pages elle va tenir à 2-3 pages près. 

C’est un des trucs qui n’existait pas vraiment sur le marché avant, ce type de livres où de gag en gag on avance dans un récit  ; et je pense que ça peut être une des signatures de la collection. C’est un truc que j’aime beaucoup à titre perso.

Justement il y a un nouveau livre de Karibou et Josselin Duparcmeur qui arrive à la rentrée, qui s’appelle Troie zéro et qui sera sur la guerre de Troie. Il y a les livres de Yann Rambaud, le nouveau président ou Une Bonne comédie romantique française, qui sont construits comme ça. Avec David De Thuin, j’avais fait deux livres en tout petit format avec des strips qui se suivaient. On a fait que deux bouquins comme ça, sur deux fois 100 pages de strips qui s’enchaînent. De l’enquête policière, donc là encore une contrainte dans les contraintes. Mais voilà, on est un peu masochiste pour le plaisir des lecteurs, on va dire [rires]

Est-ce que tu peux déjà nous dévoiler la suite du programme, après ces 5 premières années ? 

James : En humour les livres se font assez vite, ce n’est pas forcément des livres sur lesquels les auteurs vont passer 2-3 ans, comme un roman graphique. En général, un livre d’humour, c’est une impulsion. L’écriture peut aller assez vite, après, il y a toujours le temps du dessin. Ces livres, on met grosso modo un an à les faire. Donc, je ne travaille pas forcément avec un planning sur 3-4 ans d’avance. 

Là, je sais juste que mon programme 2024 est plein. Avec un nouveau Marc Dubuisson qui arriverait à la rentrée 2024, qui sera là aussi un récit découpé en gag en une page, comme il avait fait sur Amour, Djihad & Rtt et ça parle d’une invasion extraterrestre très drôle. 

On a quelques scénarios de Karibou avec d’autres dessinateurs dont un avec Lionel Richerand qui racontera la création de l’enfer, avec l’arrivée de son premier hôte. Caïn qui vient et qui visite l’enfer. C’est assez décalé avec le dessin de Lionel Richerand qui est formidable. J’ai associé Karibou avec Thierry Chavant, qui avait fait Start-Up Yahvé, un dessinateur de BD plutôt sérieux qui a fait beaucoup de bandes dessinées de reportage. Et là, il vient sur le terrain de l’humour avec un sujet où l’apocalypse arrive à 18h30, mais que font les gens à 18h30 ? 

Lorrain Oiseau a écrit une enquête policière pour Yann Rambaud. Et je suis très content que Fabrice Erre, ami de longue date, arrive enfin dans la collection avec un projet qui s’appelle Envoyez l’Armée. Et sur le second semestre 2023, on a la réédition fin novembre de Talk Show de Fabcaro, publié chez Vide-Cocagne qui a malheureusement fermé ses portes. Et une autre réédition mi-août en format carré de Charles Charles profession président que j’avais fait avec Marc Dubuisson en 2013 déjà chez Delcourt et diffusé dans Mauvais Esprit.

Merci James d’avoir décortiqué cette expérience éditoriale et d’avoir parlé de ton travail avec nous. Amis lecteurices, j’espère que cet entretien aura éveillé votre curiosité et que vous irez découvrir tous ces albums après avoir lu William, 31 ans, scénariste

William, 31 ans, scénariste de James, Delcourt, coll. Pataquès 


Illustration de couverture ©James

Illustrations © James /Delcourt

© James / Delcourt
© James / Delcourt
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