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par Thomas Mourier - le 11/01/2024
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par Thomas Mourier - le 11/01/2024

“Si tu lis tous mes livres, tu peux venir manger à la maison quand tu veux.” Interview de Cookie Kalkair et Léon

Depuis 2016, Cookie Kalkair s’est lancé dans la voie de la vulgarisation scientifique fun, abordant de nombreux sujets avec autant d’humour que de documentation, composant une bibliographie singulière dont les plus récentes sorties Les jeux vidéos et nos enfants et Parents des Années 80 sont emblématiques. Rencontre avec l’auteur.

Photo ©DR

À 40 ans, le dessinateur enchaîne les titres qui éveillent notre curiosité, depuis son rapport à la paternité —Les 9 Derniers Mois de ta Vie de Petit Con en 2016— jusqu’à la mise en bande dessinée de souvenirs de lecteurices nés dans les années 80 —Parents des Années 80 en 2023— bouclant une première boucle qu’il n’a pas fini d’explorer puisqu’il prépare plusieurs livres avec sa soeur et mettra en scène son père ou son fils (qui sera de l’interview). 

Le cœur de son œuvre se trouve autour de bandes dessinées documentaires qui interrogent notre rapport au corps, à la sexualité, aux autres et plus récemment celles des jeunes face aux réseaux sociaux et aux  jeux vidéos.

Tes deux actus sont des titres qui parlent de transmission, de parentalité (mais on trouvait déjà ces thèmes dans ton 1er livre Les 9 Derniers Mois de ta Vie de Petit Con) c’est un hasard au fil des projets où tu as toujours voulu traiter de ces sujets ?

Cookie Kalkair : La transmission et l’éducation, c’est un truc qui m’intéresse beaucoup et la bande dessinée est le médium que j’ai choisi. Au fond, je cherche à faire des livres qui apprennent des choses aux gens. Sinon j’ai un peu l’impression de leur faire perdre leur temps. 

Sur Les jeux vidéos et nos enfants, c’est extrêmement clair : c’est vraiment un livre à but éducatif. Je fais des ateliers dans des écoles, pour les parents, dans ce sens-là. 

Et pour Parents des Années 80, tu as raison, il y a un petit truc de transmission de génération, qui est assez cool.

J’ai l’impression que dans ton travail, il faut un peu de vécu ou de rencontre pour t’emparer d’un sujet ? 

Cookie Kalkair : Effectivement, c’est souvent autobiographique ou biographique —parce qu’à l’époque où j’ai fait Guerilla Green avec Ophélie, c’était sur Ophélie.

C’était Mariette, du studio Turbo Zero, qui disait ça dans la préface de mon livre sur le tatouage Lever l’encre : elle aimait bien le fait que je parlais de moi pour parler des autres. Et je trouve qu’elle a pointé un truc fort, c’est que je n’ai pas forcément envie ou besoin de raconter ma vie, par contre, je trouve que c’est un super véhicule pour parler des autres. 

Pour parler des gens qui m’entourent, parler du monde qui m’entoure, de la société et de la culture qui m’entoure. Tous mes projets partent de ça, et les prochains projets sont aussi dans la même veine.

Léon : Salut ! 

Tous : Salut ! 

Léon : J’ai 8 ans. 

C’est fait avec beaucoup d’humour, qui traverse toute ton œuvre, est-ce que l’humour est indispensable pour traiter de ces sujets ou d’autres comme la sexualité ? 

Cookie Kalkair : Alors c’est clairement un truc de ma personnalité. Pour moi, l’humour, c’est une manière d’alléger tout. D’ailleurs, je me suis rendu compte que j’ai du mal à parler sans être positif —et j’ai fait attention, dans certains de mes livres, à être plus vrai. Parce que j’avais tendance à tout édulcorer.

Au bout d’un moment, il faut voir les côtés négatifs et plus difficiles, c’est aussi ça qui est intéressant. J’ai appris à le faire. Si je ne fais pas attention, tout est une blague et ça perd peu de saveur. 

Dans Les jeux vidéos et nos enfants tu as même un côté docu ou manuel, comment tu as trouvé le ton ? 

Cookie Kalkair : Pour Les jeux vidéos et nos enfants, c’est inspiré d’ateliers que je fais dans des écoles. J’avais quand même de l’expérience, j’avais pu essayer des trucs et notamment trouver la balance entre à quel point je fais des trucs qui apprennent quelque chose, sans que ça soit trop long et trop ennuyeux. À quel point je fais des blagues ou à quel point je parle de moi. 

J’avais déjà pas mal testé ça sur Pénis de table, où j’avais fait une formule pour chaque chapitre, avec ⅓ infos Wikipedia, ½ marrant et ⅓ émotionnel/sensible. Je ne voulais pas que ça soit qu’un bouquin pathos, ou que de statistiques et trucs médicaux ni que de la blague. Trouver le bon équilibre là-dedans c’est important. Et sur Les jeux vidéos, j’ai essayé de le garder.

Une de mes références —un des trucs inatteignable, à mon avis — c’est de faire un truc à la Scott McCloud. Quand je fais un truc comme Les jeux vidéos, il y a un peu de ça, quand même : ce truc un peu imagé, éducatif, drôle. Quand j’en parle à mon agent, il me dit « oui, alors on ne va pas se chauffer trop sur Scott McCloud » [rires]. Mais oui, pour le côté éducatif j’ai Scott McCloud et pour le côté famille, plus personnel, j’ai Frederik Peeters ;  c’est mes deux références.

Pour Les jeux vidéos et nos enfants : tu as consulté beaucoup de doc ? Comment tu doses et à quel moment, tu te dis, c’est bon ? 

Cookie Kalkair : C’est dur d’arrêter, mais c’est presque plus dur de trouver la bonne source. J’ai la chance de travailler avec des chercheuses qui ont un groupe qui s’appelle Immerscience qui m’aident dans mes recherches et qui corrigent beaucoup ce que cherche. 

Parce qu’en fait toi et moi, si on cherche des trucs sur internet : souvent ce sont des articles qui ne citent pas leurs sources. Elles m’ont beaucoup aidé, on travaille ensemble, depuis Pénis de table sur tous mes bouquins. Je veux vraiment m’assurer d’arriver avec une vraie info, surtout quand on essaie d’attaquer des clichés. Si c’est pour casser un cliché pour en mettre un autre, c’est contre-productif.

Elles arrivent généralement au milieu de l’écriture du livre. Elles me pointent là où c’est faux, ce qui n’est pas vrai et que j’ai trouvé sur internet. Et c’est super intéressant parce qu’on se rend compte de la complexité de sa de trouver une info valide, des vraies datas, des vraies statistiques…

Donc oui, je fais beaucoup de recherches, je lis. Ce que j’essaie de faire aussi, quand je choisis un sujet genre Les jeux vidéos, j’essaie de lire tout ce qui a été fait. Mais je n’ai pas envie de réécrire un livre qui a déjà été fait, même si ce n’est pas une BD. Ça m’aide à trouver un angle. 

C’est ce que j’avais fait pour Pénis de table. J’avais lu les grandes enquêtes sur la sexualité masculine, c’était toujours des pavés de 400 pages. C’est très long. Et à la fin, je me suis dit : il y a plein de sujets qu’on ne décortique toujours pas. Et en plus, en BD, on ne le fait pas. Alors on y va.

©Cookie Kalkair / Exemplaire

Dans Parents des Années 80, tu fais appel à des témoignages, comment on met en scène les souvenirs des autres ? 

Cookie Kalkair : Je ne dirais pas que c’était dur, mais c’était plus de boulot que ce que j’imaginais. Parce que j’avais une anecdote —donc une des anecdotes de Parents des Années 80 est à moi— et je l’ai posté en disant : voilà un truc dans mon enfance qui était vraiment bizarre, est-ce que vous en avez ? La première semaine, j’ai dû recevoir 200 DM, 200 histoires et je me disais « ah oui, d’accord, je ne suis pas seul. »

Ce que j’avais sous-estimé, c’est le travail de recherche que ça allait me demander d’être juste sur les vêtements, les accessoires, les coupes de cheveux…. Parce que c’est ça aussi que les gens ont vachement aimé dans le projet. C’était de revoir les pulls et les coupes de cheveux de l’époque, c’était génial. Et plus les épisodes avançaient, plus je faisais des recherches pour être juste. 

Et j’avais aussi sous-estimé l’attachement émotionnel que les gens avaient sur leur anecdote ! D’ailleurs la plupart m’ont dit —même quand c’est des histoires un peu tristes— « c’est quand même les meilleures années de ma vie. » C’étaient des souvenirs hyper chers à leur cœur. Et je leur faisais voir les story-boards, systématiquement, et ils me disaient « non en fait, mon père, il n’avait pas de moustache… » ils étaient vachement attachés alors que c’était anonyme. Il y a pas leurs noms, mais il y en a qui m’ont demandé les fichiers pour les encadrer parce que leurs parents sont décédés…

J’avais sous-estimé ce truc émotionnel. J’ai beaucoup travaillé au service de ces gens-là, en disant « si tu veux qu’on soit plus juste, OK il y a pas de problème, je vais refaire une passe. » Ils m’offraient un matériel fantastique et sans eux il n’aurait pas le livre. Donc je trouvais que je leur devais bien de faire cet effort-là.

©Cookie Kalkair / Exemplaire

Comment tu as fait pour sélectionner dans toutes ces propositions ? 

Cookie Kalkair : Il y en avait beaucoup qui étaient en doublon. Si on prend l’histoire où « on était à 6 à l’arrière de la voiture et dans le coffre » celle-là, j’ai dû la recevoir 40 fois. Après, il y en avait qui sortaient vraiment du lot où tu te dis, c’est incroyable même si j’essayais de l’inventer ou d’en faire une mauvaise blague, ce serait complètement absurde. 

Et il y a des nouvelles générations qui disent, mais ce n’est pas possible. Mais tout est vrai. Pour certaines, ce sont des anomalies ou des anecdotes exceptionnelles, mais il y en a d’autres, c’était notre quotidien.

Comment tu travailles, avec quels outils ?  

Cookie Kalkair : Je fais tout en numérique. J’utilise un iPad et Procreate —que je remercie parce que c’est un outil fantastique—  je fais tout en digital.

Parfois, je fais un peu de story-board sur des cahiers, mais parce que je me déplace :  je suis dans le bus ou dans le train. Mais sinon je suis tout le temps accompagné de ma tablette, et je fais tout avec ça.

©Cookie Kalkair / Steinkis

Et comment tu choisis les couleurs : il y a souvent des bichromies ou des trichromies particulières à un livre ? 

Cookie Kalkair : J’ai souvent des coups de cœur sur des contrastes. Et je pars dessus, en essayant de ne jamais refaire deux fois la même. J’aime bien que chaque livre ait un peu une identité et une touche. 

Sur un de mes prochains projets, je travaille pour la première fois avec un coloriste. C’est un peu nouveau, mais c’est vraiment bien. Et c’est drôle, parce que je lui balance plein de palettes de couleurs et il me dit : « Ah ouais, tu utilises vraiment des couleurs flash »

Ça me change et on revient un peu sur le sujet de l’une de tes premières questions : j’ajoute toujours de l’humour, je trouve ça toujours très positif et du coup, c’est toujours très coloré.

Des fois, je lis des BD qui sont dans des tons ocre ou gris et je me dis « comment tu fais pour passer 100 pages à faire des lavis… » Non, je fais le truc le plus flashy possible : Les jeux vidéos c’est un vert pétant — un hommage au premier écran et aux premiers jeux vidéo, qui étaient en vert.

Et le prochain qu’on attaque et qui sort l’année prochaine, sera sur les réseaux sociaux et les ados : on a choisi un orange pétant. Je suis assez content du choix.

Est-ce que le fait d’avoir cette couleur unique, ça te libère dans le dessin ? 

Cookie Kalkair : Oui, tu as raison, ça m’aide parfois à remplir en utilisant la couleur comme des grands aplats. Si tu enlèves la couleur, il y a des passages qui sont très, très vides. Ça m’avait aussi beaucoup aidé à exprimer plein d’émotions pour les personnages dans Pénis de table

Léon : J’adore les livres de mon papa.

Cookie Kalkair : Ah oui, lequel ?

Léon : Mon préféré, c’est celui des années 80.  

©Cookie Kalkair / Steinkis

Pour ton prochain projet : Les Réseaux Sociaux et nos Ados, tu vas le construire de la même manière que les jeux vidéo dans l’idée d’en faire une collection ? 

Cookie Kalkair : Oui, et j’ai fini de l’écrire. Là, je suis en train de le l’encrer et de le coloriser. 

Mais oui, c’est le même nombre de pages et j’ai essayé de trouver la même structure. On a gardé trois grands chapitres. 

On a gardé la gestion du temps puis on a changé en deux, on a fait : l’estime de soi —puisque c’est un des grands sujets, problèmes et défis sur les réseaux sociaux. Et le troisième, c’est sur la toxicité — la toxicité du monde extérieur qui peut mettre en danger nos enfants sur les réseaux sociaux et la toxicité de nos enfants entre eux. 

J’ai eu de très bons retours de parents qui trouvaient ça assez efficace de répondre hyper concrètement à ces questions. Donc, on essaye d’aller dans le même sens, mais c’est plus dur comme projet. Dans l’intro du livre, j’explique que les jeux vidéo, c’est assez cool, parce que c’est la dixième forme d’art. C’est, maintenant, un art majeur qui développe l’imaginaire. Il y a plein de points positifs, c’était assez facile, mais pour les réseaux sociaux c’est un peu plus dur : je n’ai pas de très bonnes nouvelles, pas beaucoup de points très positifs. Même s’il y a quelques bons points.

J’ai beaucoup interviewé ma petite sœur, Lou, qui a 20 ans, pour écrire le livre. Elle m’amène justement un point de vue sur ce que ça lui a apporté. Mais il était plus dur à écrire parce que je réalise que c’est très compliqué, les réseaux sociaux : surtout pour des adolescents et le mix entre les deux est très dur.

Et en plus ça évolue assez vite, est-ce qu’entre l’écriture et le dessin, il y a déjà des choses qui ont bougées ? 

Cookie Kalkair : Absolument rien qu’au niveau légal ou législations ça va très vite. À un moment, je fais un retour sur le début des réseaux sociaux que moi, j’ai connu, en 2010 et avant avec MySpace… Mais quand tu compares à cette époque-là, c’est radicalement différent. Maintenant t’as des bots, des I.A., des influenceurs, des pubs… ce n’est pas du tout le cas au début. Au début, tu voyais les photos de tes amis.

Est-ce que tu crois que tes prochains projets aussi vont accompagner d’autres moments de ta vie ? 

© Cookie Kalkair

Cookie Kalkair : C’est vrai. Je pense que si tu lis tous mes livres, tu connais très, très bien ma famille. C’est drôle, parce que ce n’est pas du tout un plan, mais c’est vrai que le prochain projet sur les réseaux sociaux c’est avec ma petite sœur —ce n’était pas du tout prévu.

Le livre d’après, s’appelle Merveilleux, et c’est sur notre père qui a eu un AVC et qui est handicapé aujourd’hui, dont on s’occupe tous les deux. C’est aussi avec ma petite sœur.

C’est très intime et il y a aussi Léon à l’intérieur, qui grandit sur cinq ans. Donc je pense que ça va continuer.

Si tu lis tous mes livres, tu peux venir manger à la maison quand tu veux. [rires] Tu connais déjà tout le monde j’ai l’impression. J’espère que ça crée une ambiance familiale assez chouette. 

C’est vrai que je le vois dans des séances de dédicaces : il y a des gens qui me connaissent beaucoup plus que ce que j’imagine. Quand tu lis Lever l’encre et De polyamour et d’eau fraîche, tu vois plein de facettes différentes de ma vie de notre famille et je trouve ça assez drôle finalement.

Vous avez l’embarras du choix pour démarrer si vous n’avez pas encore mis un pied dans son univers où découvrir les derniers à la lumière de ces réponses. On attend avec impatience son projet sur les réseaux sociaux et on va suivre ses réseaux pour espérer d’autres strips venus tout droit des années 80…

Les jeux vidéos et nos enfants, Steinkis
Parents des Années 80, Exemplaire


Toutes les images sont © Cookie Kalkair et ses éditeurs

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