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Critiques
par Thomas Mourier - le 27/09/2021
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par Thomas Mourier - le 27/09/2021

RIP : Cadavres exquis en série

Avec ce 4e volume (sur 6 de prévus) la série de Gaet’s et Julien Monier prend un tournant qui surprend & ravit avec les pièces d’un puzzle géant qui s’emboîtent depuis plus de 400 pages. Où chaque personnage laisse sa place à un autre et commencent ensemble à dessiner un beau portrait final.

RIP de  Gaet’s et Julien Monier, Petit à Petit

Enfin « beau », si vous n’avez pas encore ouvert le 1er volume de RIP, je dois vous prévenir que la beauté n’est peut-être pas l’adjectif le plus adéquat, prenez plutôt « glauque ». Ou « sordide », car cet univers s’attaque à tout ce qu’il y a de pire dans l’être humain, avec dissection de l’âme en plus des autopsies corporelles.

Les auteurs font le pari, réussi, de nous donner à lire le quotidien affreux de « nettoyeurs de scènes mortuaires », des travailleurs précaires payés pour récupérer les dernières possessions de cadavres en décomposition en vue de revendre ces objets pour le compte d’une entreprise craignos. L’équipe arrive en combi sur les lieux, nettoie la merde, récupère ce qui peut avoir de la valeur avant de filer à l’entrepôt pour l’inventaire. L’équipe, c’est Derrick, Eugène, Albert, Maurice et Ahmed le nouveau, des pauvres types qui traînent tous un passé compliqué et qui s’accommodent du pire job du monde avant de se retrouver boire un coup chez Fanette. 

Le matin je me lève de bonheur…

Alors oui c’est glauque, oui c’est sordide, mais ce n’est pas pour autant gratuit. Cette approche est justifiée, référencée et incarnée, Gaet’s y installe un univers recherché. On sent qu’il y a pas mal de docs dernière, de la vie des insectes utilisés dans la médecine légale à la temporalité de la décomposition des corps. Pas mal de faits divers utilisés en références pour les morts les plus affreuses, et chaque partie qui touchent à ces métiers de la mort sont particulièrement soignés. Les persos sont bien campés avec leurs tics de langage, postures, habitudes qui leur donnent un relief assez rare en bande dessinée, surtout avec cette manière de s’attaquer à leur passé dans les volumes qui leur sont dédiés, mais aussi pour ceux qui restent au second plan, je pense au chouette duo de flic qui apparaissent ça et là. 

Tout démarre par un vol, une bague attachée à un corps moisi que l’un des personnages récupère discrètement. Un fil rouge qui court sur toute la série et qui va permettre à Gaet’s et Julien Monier de mettre en place une narration un peu particulière : chaque volume prend le parti d’un protagoniste, de dévoiler son passé, mais aussi de rejouer des scènes précédentes à la lumière de ce nouveau point de vue. Une enquête polyphonique qui joue avec les non-dits et les intuitions des lecteurs. 

Une écriture faite de flash-back, de fausses pistes et de secrets qui joue avec les ellipses propres au médium bande dessinée. À chaque nouveau volume, ils explorent les zones d’ombres, enrichissent la biographie des personnages et renversent nos attentes et croyances sur cette enquête particulière. Difficile de s’identifier dans ce panier de crabes, mais les auteurs s’en amusent : il faut trouver le moins pire des salauds (quitte à réviser son jugement au tome suivant). 

Ils vont plus loin, jouant avec leurs lecteurs à coup de fausses pistes et de détails cachés qui se révèlent à la relecture. Les têtes de chapitres avec leurs citations, les références (planquées dans les planches) ou les inserts d’écrans, toute la série est truffée de petits clins d’œil aux films, aux séries Tv, aux musiques ou aux bouquins qui ont inspiré les auteurs.

Je me demande même si l’on n’est pas invité à détacher les pages des livres, à les punaiser sur le mur du salon avant de les relier avec de la ficelle rouge… on verra si l’intégrale des 6 volumes sera livrée avec une paire de ciseaux en cadeau. 

Un mot gentil est comme un jour de printemps…

Chacun à sa part de folie, et ici tout le monde l’exprime à sa manière, RIP est une série qui joue beaucoup avec l’humour, un humour noir, distancié et référencé. Car tout ceci est très drôle, derrière les cadavres qui s’empilent au fil des pages, derrière les affreux secrets des héros, derrière les méthodes craignos de la police se cache une malice réjouissante.  

Avec son dessin incarné, où les couleurs sont presque palpables, par leurs effets de matières. Si Julien Monier travaille uniquement à la palette graphique, le rendu est très maîtrisé. Pour mettre en valeur les trognes, les gueules cassées de RIP, il joue avec les cadrages et les gros plans avec habileté. Dans un univers où les corps humains sont repoussants et assimilés aux cadavres, il joue avec ce contraste en montrant les vivants de très près. 

Avec 50 000 exemplaires vendus pour les 3 premiers volumes au moment où sort le T4, la série est plébiscitée par les lecteurs qui attendaient ce nouveau volume avec impatience et découvrent qu’il est l’épisode charnière qui révèle les clefs pour aller vers les 2 derniers et la conclusion. Mais j’en ai presque trop dit. Restent 2 volumes à venir en 2022 et 2023 (s’ils tiennent le rythme d’un par an) pour boucler la boucle.

RIP de Gaet’s et Julien Monier, Petit à Petit (4 volumes dispo)


Illustrations © Gaet’s / Julien Monier / Petit à Petit

RIP de  Gaet’s et Julien Monier, Petit à Petit
RIP de  Gaet’s et Julien Monier, Petit à Petit
RIP de  Gaet’s et Julien Monier, Petit à Petit
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