Après presque 10 ans de carrière, Fabien Toulmé a imprimé un sillon singulier en bande dessinée, celui d’un auteur qui a placé l’humanité au centre de son œuvre et dont chaque projet cherche à mieux comprendre les autres. Un humanisme qui éclaire ses choix de livres et leurs caractères si universels alors qu’ils font la part belle à des individualités ou des destins atypiques.
C’est la grande force de Fabien Toulmé, celle de capter l’expérience de ses semblables pour nous faire réfléchir sur nous même, nos sociétés, ou notre époque. Celle de mettre en lumière les différences pour gommer les incompréhensions et les distances entre nous à l’heure où les réseaux sociaux nous poussent à nous singulariser en postant les mêmes contenus. Celle de mettre en image l’intime pour en souligner son caractère commun. Et surtout celle de le faire avec simplicité et justesse.
Partager son histoire, des histoires
Dans Inoubliables, il propose 6 histoires, 6 expériences qui changent une vie. Des témoignages de personnes qui ont eu des accidents de vie, des destins extraordinaires, des surprises incroyables ou des tragédies terribles. Aucune histoire ne se ressemble, mais elles ont en commun de montrer ces inconnus qui vivent avec un événement complexe, difficile ou traumatisant et qui se sont reconstruits aujourd’hui sans pour autant oublier le passé.
Avec ce projet, Fabien Toulmé donne une suite à son premier livre Ce n’est pas toi que j’attendais où il racontait la naissance de sa fille atteinte de trisomie. À travers ses doutes et ses convictions, ses découvertes et ses aprioris, le dessinateur mettait en image une expérience peu commune, intime et puissante. Puis à la série L’Odyssée d’Hakim où il proposait de mieux comprendre le sort des réfugiés à travers le destin de cet homme et sa famille.
Ici il offre à des anonymes de faire la même chose, chacun des témoignages lui a été envoyé par mail. Le livre s’ouvre d’ailleurs sur avant-propos qui explique la démarche : « Le livre que vous tenez entre vos mains est un recueil d’histoires vraies. Il est composé de 6 récits qui, chacun, racontent l’événement le plus marquant de la vie de personnes que j’ai interviewées au cours des derniers mois. »
Il explique comment sont écrits ces scénarios par rapport aux témoignages et pourquoi ils sont à la première personne, sans l’intervention du dessinateur —qui est un trait commun à ses autres livres, vous pouvez lire le coup de cœur sur Les reflets du monde ici— il écrit encore dans ce texte : « J’ai essayé, autant que possible, de vous retranscrire les mots tels qu’ils m’ont été livrés, en y apportant la mise en scène nécessaire à la transposition d’une parole au médium qu’est la bande dessinée. Certains ont fait le choix de l’anonymat pour aller au plus près de leur intimité. »
Portrait en creux de nous mêmes, des autres
Fabien Toulmé mets en scène le récit d’une femme qui va vivre l’emprise d’une secte, celui d’un viol dans un couple, celui d’un homme se souvenant des massacres du Rwanda, mais aussi celui d’une histoire d’amour qui défie le temps, celui d’un prêtre amoureux ou encore d’un ado repenti qui entre en politique après être sorti de prison.
Au fil de ses histoires qui donnent à voir un bout d’humanité, l’auteur crée un échantillon de récits uniques qui donnent un instantané de notre monde. La bande dessinée offre de toucher à l’intimité par son écriture, son rythme et sa narration, de passer à la première personne tout en ajoutant plusieurs couches d’informations à travers le texte & l’image, de montrer sans décrire, de mettre en tension ce qu’on voit & ce qu’on entend.
Un monde de différences, de points communs
Le dessin permet aussi d’atténuer certaines situations trop dures, de les rendre lisibles même si elles ne sont pas acceptables. Son trait épuré et simple permet l’identification du lecteur, de s’identifier aux personnages ou à leurs proches. Depuis ses débuts, l’auteur a fixé son style entre le croquis façon carnet de voyage narratif et le dessin plus cartoon des billets d’humour, pour mettre l’accent sur les émotions et la parole. Les décors se font minimalistes, mais réalistes, et laissent souvent place à des aplats de couleurs pour mettre le focus sur les relations. L’ensemble est mis en couleur avec des bichromies propres à chaque histoire.
Toutes ces récits si différents ont malgré tout des points communs : ils sortent de l’ordinaire et suscitent des émotions fortes, dans la joie et/ou la tristesse. Le dessinateur y ajoute souvent une touche d’humour, joue sur les effets de narration pour travailler sur le rythmes en gardant un quasi invariable gaufrier.
Avec beaucoup de finesse Fabien Toulmé explore les thématiques des violences, de la guerre, de l’enfermement, de la solitude, de l’emprise ou encore de l’amour, de l’amitié et de la rédemption. Inoubliables est le pendant moins exotique, moins collectif que Les reflets du monde —dont le T2 arrive prochainement— mais inaugure avec ces deux séries un diptyque fascinant dont on est curieux de voir comment l’auteur va les faire évoluer.
Inoubliables de Fabien Toulmé, Dupuis (sortie le 15 septembre 2015)
Tous les visuels sont © Fabien Toulmé / Dupuis
