Illustration de l'article
Actualités
par Thomas Mourier - le 19/03/2022
Partager :
par Thomas Mourier - le 19/03/2022

Plus fort que le palmarès : la remise du prix des rémunérations des auteurs/autrices en dédicace

Cette année, une grande avancée pour les autrices & auteurs : la ministre de la Culture a annoncé un protocole pour rémunérer les artistes en dédicace sur 10 festivals test. Une avancée significative qu’on débrief avec Christelle Pécout & Marc-Antoine Boidin du SNAC BD.

Un protocole prévu pour 3 ans de test avec une évaluation du dispositif en 2024 permet aux autrices & auteurs de toucher une rémunération pour leurs séances de dédicace sur 10 premiers festivals : Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, les Rencontres du 9e art, BD à Bastia, le Rendez-vous de la BD Amiens, Lyon BD Festival, Festival Fumetti, Formula Bula, Quai des bulles, BD Boom et le Festival BD de Colomiers. Des festivals soutenus à la fois par le CNL et la Sofia, les deux organismes qui sont les acteurs de cette rémunération. 

Explications avec Christelle Pécout, autrice et vice-présidente du groupement BD du SNAC & Marc-Antoine Boidin, auteur et vice-président du groupement BD du SNAC.

On parle d’un forfait de 226 euros bruts par auteur, comment marche ce dispositif ? 

© Benjamin Adam

Marc-Antoine Boidin « La rémunération se base sur les tarifs de la Charte jeunesse de la journée signature, mais en réalité c’est un forfait par festival et par auteur. 

Que l’on dédicace 2h ou que l’on dédicace 4 jours, c’est le même tarif qui sera appliqué. Tous les festivals ne fonctionnent pas pareil, il a fallu trouver une formule qui convient à tous les événements. »

Christelle Pécout « L’expérimentation se déroule sur 10 festivals très différents, répartis sur tout le territoire et sur toute l’année. C’est ça qui est important, de ne pas se contenter d’Angoulême. »

Marc-Antoine B. « Cela va même s’élargir en 2023. La première année, en 2022, concerne tous les festivals qui sont subventionnés par la Sofia et le CNL. Et va s’ajouter, les festivals uniquement soutenus uniquement par la Sofia ou uniquement par le CNL. On ne sait pas encore, il y a une zone de flou là-dessus, mais si les DRAC rentrent là-dessus cela sera étendu à plus de festivals et in fine ça représente 1 million d’euros pour les auteurs par an. »

Christelle P. « Sur les invitations, certains comme Amiens invitent une partie des auteurs et l’autre par les éditeurs, d’autres comme Bastia n’a pas d’invitation éditeur, c’est uniquement le festival. C’est la ‘puissance invitante’, celui qui invite l’autrice ou l’auteur qui payera un tiers de la somme, les 2 autres étant pris en charge par la Sofia et le CNL.

Pour le festival d’Amiens en particulier : le festival qui invitait les auteurs avant cet accord et proposait de nombreuses interventions scolaires, tables rondes etc. Disons qu’ils trouvaient des moyens de compenser la présence non rémunérée des auteurs. Maintenant ce sera j’espère les deux : acte de créations rémunéré et autres interventions …»

Marc-Antoine B. « Et d’un point de vue logistique, c’est la Sofia via une plateforme qui va se charger de collecter et répartir l’argent en une fois.»

Christelle P. « La plateforme est lancée, et il faut que les autrices & les auteurs se déclarent sur le site après la manifestation. Il y aura une comparaison entre la liste fournie par les organisateurs ou éditeurs et celle des créateur.trice.s.»

Marc-Antoine B. « Et puis ce forfait sera sûrement indexé sur la rémunération signature de la charte.»

Est-ce que ça se cumule avec d’autres rémunérations ? 

© Benjamin Adam

Marc-Antoine B. « Oui tout à fait. Le forfait se cumule et ne se substitue pas aux autres rémunérations. Sur un festival de bande dessinée, historiquement cela tourne autour des dédicaces, mais si tous les auteurs qui dédicacent n’étaient pas payés à côté d’auteurs qui font des interventions payées. Il y avait un problème et beaucoup au Ministère n’avait pas conscience de ça. Ils ignoraient la réalité d’un festival de BD.»

Christelle P. « Il faut rappeler aussi que la rémunération est pour l’acte de création, les scénaristes et coloristes sont aussi concernés.

Mais cela bougeait déjà sur certains Festivals comme Lyon BD ou Amiens, qui ont des politiques d’auteur plus ouvertes, et qui réfléchissent déjà à des rémunérations ou qui payent déjà les auteur.trice.s.»

Idem pour les expositions ? 

© Benjamin Adam

Christelle P. « Le droit d’exposition fait partie des droits annexes que l’on doit percevoir. Un droit annexe méconnu du milieu, relatif au droit de représentation. Il doit faire l’objet d’une cession de droit.»

Marc-Antoine B. « Mais souvent les auteurs cèdent ces droits à leurs éditeurs dans leurs contrats. Mais ce qui se passe, c’est que souvent le festival ne paye pas l’éditeur ou l’auteur, car arrive l’argument « ça vous fera de la pub » donc l’éditeur ne va pas réclamer de l’argent au festival qui met en avant un titre. Ce qu’on peut comprendre par ailleurs, mais il y a un sujet là-dessus. Mais en ce qui concerne cette mesure, cela ne rentre pas dans ce cadre. »

Christelle P. « Il y a un point qui me paraît très dérangeant, ce sont les récentes expos en gare qui comme l’année dernière ont quasi remplacé le festival d’Angoulême en visibilité faute d’événement. Il y en a eu énormément, certaines en plusieurs exemplaires ou déplacées de gare en gare. Mais elles ont posé un débat éthique : est-ce que c’est de la publicité ou est-ce que c’est une exposition ? 

Personne ne recevait de droits d’exposition, donc nous avons insisté pour qu’il soit payé aux artistes auteurs. Qui en plus étaient sollicités, on leur disait « tu me fournis tel fichier et tel fichier en les retravaillant » et faisaient un montage parfois non validés avec les auteurs, ce qui est scandaleux, et parfois sans même dire où les visuels seraient exposés. Il y avait des proches qui envoyaient des textos aux auteurs, « tiens j’ai vu ton expo dans telle gare » sans que celui soit au courant ! Lunaire !
À vérifier cette année, mais ils devraient être versés.»

Marc-Antoine B. « Et s’il y avait un autre point à aborder en vérité, mais les éditeurs font l’autruche, c’est la question du partage des valeurs. Ce qui est le nerf de la guerre pour nous, c’est les rémunérations sur la création du bouquin et sur les droits qui peuvent générer en termes de ventes. Là il y a un vrai sujet et c’est le sujet de fond en réalité. 

Là-dessus, il faudrait vraiment une volonté politique de rétablir la balance, mais on ne ressent pas tout à fait ça encore. Mais avec les élections ce n’est pas la priorité. Et puis on ne sait pas qui sera Ministre de la Culture après Roselyne Bachelot ou si ce sera encore elle. Elle est venue aujourd’hui sur le festival, mais elle n’est pas venue nous rencontrer, en tout cas s’il y avait un truc à lui dire c’est ça que je lui dirais. Un plan auteur c’est bien, vous envoyez les organismes d’auteurs discuter avec les éditeurs, mais si ce n’est pas vraiment sous l’égide du Ministère avec une volonté sérieuse d’infléchir la balance : nos leviers sont très faibles. Une fois qu’on a fait grève à Angoulême, qu’est-ce qu’il nous reste ? »

Pourquoi cette mesure arrive maintenant ? 

© Benjamin Adam

Marc-Antoine B. « Depuis que je suis au syndicat, j’ai rencontré 7 ministres de la Culture, il n’y en a pas un qui m’a impressionné dans leurs mesures pro-auteurs. Heureusement, il y a l’appui du Service du livre, du Ministère, à travers son responsable Nicolas Georges. Il a compris que c’était important, et comme quoi dans les ministères ils bossent même quand les ministres bougent.»

Christelle P. « On porte cette mesure depuis 2017. Mais déjà, il a fallu faire partie des gens qui soient dans les discussions.  »

Marc-Antoine B. « On est rentrés par ce qu’on avait vraiment la volonté de s’occuper de ces sujets, et notre raison pour rentrer était qu’à moyen terme une rémunération soit mise en place pour rémunérer la présence en festival. Puis cela a évolué d’un point de vue juridique, pour faire rentrer ça dans le droit d’auteur (et la présence ne peut pas être comptée dans le droit d’auteur) et là ce forfait est du vrai droit d’auteur.»

Christelle P. « Chez les auteurs, c’est une idée compliquée à défendre. Selon les générations, on a pas la même approche. Pour une génération plus ancienne, le festival c’est « le week-end entre copains », et ils ne se rendent pas compte que ce sont des avantages financiers que l’on peut réclamer et que de jeunes auteurs ont besoin. »

Marc-Antoine B. « Le SNAC porte ça depuis 2017, on avait proposé un sondage sur facebook auprès de 300 auteurs et on avait un consensus même si certains auteurs avaient peur de ne plus être invités parce qu’ils ne seraient pas bancables : alors qu’on a réfléchi à un système qui n’est pas là dessus. C’est indépendant de la notoriété ou du nombre de dédicaces. »

Est-ce que les festivals ne vont pas annoncer des budgets fixes et dire qu’ »on a que tant d’euros et on ne peut pas inviter plus » ? 

Christelle P. « Ils peuvent, mais c’est un faux problème. Un festival à besoin de tous les auteurs. Il ne peut pas y avoir que des stars, il faut un bon nombre d’auteurs, plusieurs styles, genres…»

Et quand on est autoédité ? 

Marc-Antoine B. « Il suffit d’avoir une association ou une structure pour obtenir l’aide. Et bien sûr se payer la dernière part soi-même. »

Est-ce que ça peut être étendu aux librairies ? 

© Benjamin Adam

Christelle P. « En général c’est pour la sortie d’un livre, rarement pour un vieux bouquin, donc pour la promotion. Et souvent les éditeurs s’inscrivent dans le contrat, si on ne prend pas bien le temps de le lire.»

Marc-Antoine B. « En librairie, le rapport est différent : le libraire invite l’auteur et défend le bouquin. Il va le vendre alors que dans un festival on est dans un esprit de fête ou de manifestation culturelle et c’est plus dilué. Cela dit, c’est une bonne chose que des libraires rémunèrent les auteurs.»

Quels sont les prochains combats ? La suite ? 

Marc-Antoine B. « Il y a une clause de revoyure dans 3 ans, c’est très important que les auteurs s’impliquent et agissent assez vite pour que ça perdure. J’espère que tous les éditeurs vont jouer le jeu, qu’ils soient signataires ou non.»

Christelle P. « L’autre sujet sur lequel on travaille : c’est les relations entre auteurs et éditeurs. On a fait 5 notes pour reconnaître la nature de leurs relations. Un constat sur 5 aspects : historique, sociologique, psychosocial, économique & juridique.

On a confronté ces 5 points de vue dans des webinaires sur le site du SNAC et on va publier un bilan de ces 2 ans de travail. Le but c’est de proposer des solutions.»

Marc-Antoine B. « On a lancé aussi des suivis psychologiques et tout cela va faire l’objet d’un bouquin. On ambitionne aussi d’engager des discussions avec les éditeurs (la première à eu lieu hier) et d’aboutir a des propositions concrètes (contractuelles, médiations ou autre). L’idée est de cadrer un peu tout ça, en lien avec les instances publiques aussi comme le CNL par exemple, pour repenser les relations auteur-éditeur et éviter que ça se désagrège. 

Le sujet du Webtoon aussi pour la BD qui fait l’objet d’une table ronde et masterclass. C’est un milieu plus proche de la startup que de l’édition et qu’il nous semble importants d’engager analyses et discussions pour impulser là aussi des pratiques plus favorables aux auteurices.

On a de l’espoir pour la suite. Ça fait 10 ans que je suis au syndicat et ça fait 10 ans que je pose des chewing-gums sur des brèches de bateau. Et je me dis là avec la rémunération au moins il y a une vraie avancée.»


Illustration principale : photo de l’exposition RENÉ GOSCINNY SCÉNARISTE, QUEL MÉTIER !, à Angoulême / photo de l’auteur
illustrations utilisées dans l’article © Benjamin Adam

Actualités
Voir tout
Publications similaires
Abonnez-vous à la newsletter !
Le meilleur de l'actualité BD directement dans votre boîte mail