Pour les lecteurs nés avant les années 2000, c’est simplement le quotidien. Difficile d’imaginer que toutes les problématiques de l’adolescence : des problèmes familiaux à l’émancipation, de la sexualité au sexisme, du chantage au harcèlement et le mal-être adolescent est aujourd’hui croisé, amplifié, déformé par les nouvelles technologies qui les complexifient. Réseaux sociaux et popularité, sexto et intrusions dans la vie privée, croyances et complotisme… sont maintenant aussi présents que le reste.
C’est ce quotidien qu’arrivent bien à rendre les auteurs dans ces courtes histoires reliées entre elles par le seul fil rouge de leurs personnages. Si Aïssa doit devenir YouTubeuse pour explorer son féminisme, si Fodé se rêve en rappeur comme Bigflo & Oli, que Killian utilise ses facilités avec la technologie à mauvais escient ou que Vanessa s’empare d’un buzz local sur les réseaux pour parler d’écologie : chaque ado essaie de tracer son chemin et d’apprivoiser ces technologies qui sont désormais indissociables du quotidien.
La bonne idée est d’avoir introduit chaque perso par une illustration pleine page et d’avoir semé visuellement des indices sur sa personnalité. Une manière d’utiliser l’image pour caractériser les héros par un faisceau d’indices, de la même manière qu’on met un t-shirt à l’effigie d’un groupe ou qu’on s’approprie un héros en collant un sticker sur son ordi. De Toni Morrison pour Aïssa à Princesse Mononoké pour Vanessa en passant par le Steve Jobs d’Alex Gibney pour Killian et Greta Thunberg pour Clémentine… Étrangement, il n’y a qu’un personnage dont l’histoire ne fait apparaître aucune image, aucune référence à la pop culture c’est Mathieu qui vit à la campagne et s’occupe des bêtes avant d’aller au lycée. Comme si la proximité avec la nature pouvait préserver un peu sans qu’il soit mis à l’index, l’album a le mérite de questionner et d’ouvrir le débat sur pas mal de sujets avec des ados.
Ces portraits sont très réussis dans leur composition et le style de Claire de Gastold va chercher l’efficacité en donnant à ses personnages des expressions et des mouvements très expressifs. Comme une version moderne de Tom-Tom et Nana, au trait plus posé et aux aplats de couleur tranchés qui servent parfois de décors. En connaisseur de la bande dessinée, j’imagine que Vincent Brunner pense à Ghost World dont la quête du paraître et le regard sur la société, chez Daniel Clowes, peuvent faire écho à ces situations —dans un contexte plus moderne. Une référence rappelée par le cosplay de Kim et ses amies qui fait référence à celui, iconique, d’Enid & son masque de Catwoman.
Après sa diffusion de novembre 2018 à novembre 2020 dans le magazine TOPO, ce recueil donne un tout cohérent, clôturé par un épilogue inédit et on imagine peut-être une saison 2 si le livre trouve ses lecteurs. Si vous avez des ados à la maison, n’hésitez pas !
11 407 vues de Vincent Brunner & Claire De Gastold, Casterman
Illustrations : © Vincent Brunner/Claire De Gastold/ Casterman
