Si vous avez loupĂ© les Ă©pisodes prĂ©cĂ©dents : AprĂšs la chute du Mur et lâalliance des grandes familles, le Nord est complĂštement rasĂ© par les marcheurs blancs qui se dĂ©ploient vers la Nera⊠Ah ce nâest pas le bon script, euh on ne vous a rien dit.
AprĂšs deux ans de chroniques, de conseils, de coups de cĆur hebdomadaires ; aprĂšs une centaine de semaines Ă chercher et dĂ©nicher les pĂ©pites parmi les 5000 sorties annuelles ; aprĂšs vous avoir proposĂ© un service de conseils en ligne non stop : on sâest dit que nous allions fĂȘter cette 100e chronique de la semaine tous ensembleâŠ. Toute lâĂ©quipe de Bubble a tenu Ă partager son coup de cĆur ultime ou presque, et on attend de pied ferme les vĂŽtres sur le groupe ou dans les avis dans lâapp !
Le coup de cĆur de BenoĂźt : Le Nid des Marsupilamis de Franquin
Jâai peut ĂȘtre lu plus de bandes dessinĂ©es dans ma jeunesse quâaujourdâhui mais je garde de trĂšs bons souvenirs de sĂ©ries quâil y avait chez mes parents: Boule et Bill, Spirou et bien sĂ»r cet album mythique autour de la crĂ©ature la plus folle de la bande dessinĂ©e le Marsupilami.
Avec lui, les aventures de Spirou et Fantasio prenaient un autre tour, on glissait vers le merveilleux et les intrigues devenaient fantastiques. Et chez Franquin il y avait toujours le souci du dĂ©tail : les vĂȘtements, le mobilier, les voitures,⊠alors ce fantastique sâinvitait immanquablement dans le quotidien. On sâattendait toujours Ă ce quâune crĂ©ature Ă©trange dĂ©barque Ă chaque Ă©pisode « classique »
LâĂ©pisode est construit comme un documentaire animalier au cĆur dâune intrigue plus conventionnelle dans les forĂȘts denses de la Palombie, et le dessinateur en profite pour prendre son temps et dĂ©velopper lâunivers de ces animaux poĂ©tiques. Tout nâest quâĂ©lĂ©gance et finesse dans leur monde et Franquin le traduit par son dessin incroyable. Champion incontestĂ© du dessin animalier et du mouvement, il dĂ©ploie tout son art dans cet album oĂč chaque dĂ©tail peut se contempler des heures. C’est un album inĂ©puisable, et chaque image du hĂ©ros jaune Ă pois noirs Ă©voque pour moi une jungle de bons souvenirs.
Le coup de cĆur de Carole : Alinoe, de Jean Van Hame et Gregor Rosinski
Câest en lisant la sĂ©rie Thorgal que ma maman collectionnait que jâai appris Ă lire. Je trouve quâelle est vraiment excellente car elle se dĂ©roule dans un monde complexe qui mĂ©lange mythologie viking et science-fiction avec des personnages attachants et un hĂ©ros super Badass.
Thorgal est un orphelin issu dâun peuple mystĂ©rieux venu des Ă©toiles dotĂ© dâune grande intelligence et trĂšs en avance techniquement. Il est recueilli par un viking aprĂšs que sa mĂšre lâait abandonnĂ© sur terre pour le sauver d’une terrible menace. Une fois adulte il Ă©pouse la fille du chef : Aaricia mais ils vont devoir quitter leur village car les habitants refusent leur union. Toute sa vie Thorgal va chercher un lieu ou vivre en paix avec sa famille. Ce sera le fil rouge de toute la saga.
Le tome 8 de la sĂ©rie qui a pour titre AlinoĂ« me terrorisait quand jâĂ©tais petite, le personnage Ă©ponyme est vraiment flippant. Thorgal est absent de tout le tome car il est parti chercher des vivres durant 3 jours et laisse Aaricia et Jolan, leur fils, seuls sur lâĂźle quâils ont choisie pour vivre en paix loin des hommes qui les ont bannis. Jolan, 5 ans, sâennuie jusquâĂ ce quâil fasse la connaissance dâun jeune garçon mystĂ©rieux aux cheveux verts. Cet ami imaginaire va remplir lâexistence solitaire de cet enfant vivant seul avec ses parents au milieu dâune Ăźle mais les rĂ©jouissances vont se gĂąter quand la crĂ©ature Ă©chappera Ă son crĂ©ateur et sâen prendra Ă AariciaâŠ
AprĂšs ce tome lĂ jâai continuĂ© Ă dĂ©vorer la saga mĂȘme si AlinoĂ« mâa hantĂ© encore quelque temps au point mĂȘme que je refusais quâil soit rangĂ© avec les autres tomes.
Le coup de cĆur de ClĂ©ment : Lone wolf and cub de Kazuo Koike & Goseki Kojima
Je ne lis pas Ă©normĂ©ment de bandes dessinĂ©es, mais il y a quelques mangas qui mâont marquĂ©. Dragon ball Ă©videmment, mais dâautres un peu moins connus comme Lone wolf & cub. Il se prĂ©sente comme un manga historique, se dĂ©roulant dans la pĂ©riode Edo, moyen Ăąge japonais (un peu plus classe que le moyen Ăąge europĂ©en) et met en scĂšne les aventures dâun samouraĂŻ sans maĂźtre qui refuse de se suicider pour venger sa famille. DĂ©sormais en quĂȘte de son honneur et de lâassassin de sa femme et de son clan, il parcourt les routes du Japon fĂ©odal et dĂ©rouille tout ce qui se met en travers de son chemin.
Mais ce qui distingue vraiment cette sĂ©rie des autres est ce duo improbable: le personnage principal, terrible sabreur et son fils en bas Ăąge qui lâaccompagne. Le loup solitaire et le berceau. Les tueurs les plus improbables de la littĂ©rature. Ă tel point que 5 ou 6 films ont Ă©tĂ© tirĂ©s de cette histoire et Quentin Tarentino sâen est largement inspirĂ© et y fait explicitement rĂ©fĂ©rence dans son Kill Bill.
Franck Miller (Sin City, 300) a dessinĂ© les couvertures des versions anglaises et françaises. Il admire beaucoup lâesthĂ©tique et la maniĂšre Ă la fois violente et graphique dâaborder ce sujet. Et on ne peut que le suivre !
Jâai vĂ©cu quelque temps en Asie et jâai aimĂ© la maniĂšre de raconter des auteurs, derriĂšre lâhistoire et les scĂšnes de batailles ils prennent le temps de nous montrer plusieurs facettes de la sociĂ©tĂ© japonaise. Des lieux, des villes, des paysages, les habitudes, la gastronomie,⊠la sĂ©rie est riche de ce background trĂšs fouillĂ© âderriĂšre son histoire captivante. Une sĂ©rie trop mĂ©connue qui mĂ©riterait dâĂȘtre plus mise en avant.
Le coup de cĆur de Guillaume : Le Grand MĂ©chant Renard de Benjamin Renner
Dans une ferme une poule, au caractĂšre bien trempĂ© et ses copines. Dans le sous-bois Ă cĂŽtĂ© un renard, affamĂ© et son mentor carnassier, le loup. Au centre, trois Ćufs devenant poussins, dĂ©bordants dâĂ©nergie ⊠et non, il ne sâagit pas du dernier La Fontaine ni dâun prequel du Roman de Renard ! Ici notre goupil est un gros loser qui nâa jamais rĂ©ussi Ă se mettre le moindre morceau de viande sous la dent, et qui fuit sous les coups de latte des poules dĂšs quâil tente dâen croquer une. Fermement dĂ©cidĂ© Ă ne pas rester condamnĂ© Ă manger des navets, il manigance avec le loup le plan parfait : voler des Ćufs et engraisser les poussins, pour enfin manger de la gallinacĂ©. Mais le plan sans (ac)crocs en a un : lorsque les Ćufs Ă©closent les trois poussins se tournent vers le renard et le prennent pour leur Maman. MĂȘme sâil avait mis toutes les chances de son cĂŽtĂ©, comme lâillustre son tonitruant « Bienvenue dans votre pire cauchemar ! » en guise dâaccueil pour les trois poussins, notre pauvre renard nâest une fois de plus pas pris au sĂ©rieux dans son rĂŽle au sein de la chaĂźne alimentaire⊠et va dâailleurs finalement se prendre dâaffection pour ces rejetons.
Cette BD de presque 200 pages est Ă lire comme un conte ultra moderne, qui prend un malin plaisir Ă dĂ©jouer les clichĂ©s et les rĂŽles prĂ©Ă©tablis. En mettant en scĂšne les tiraillements du renard entre sa vraie nature et celle quâil est supposĂ© avoir, Benjamin Renner dĂ©livre une histoire hyper drĂŽle et dĂ©calĂ©e, agrĂ©mentĂ©e dâune mise en page sans cases et relativement simple, mais dâune grande efficacitĂ©. Les personnages sont tous tordants (je nâavais pas encore Ă©voquĂ© le chien nonchalant, le lapin et le cochon autant benĂȘts que parfaits seconds rĂŽles, le moineau plein dâorgueil,âŠ), leurs dessins hyper expressifs, et les dialogues savoureux.
On pourrait croire que Le Grand MĂ©chant Renard est seulement destinĂ© aux enfants, dĂ©trompez-vous. Je me souviens avoir lu quelque part quâune bonne histoire pour enfants, câest surtout une histoire qui se lit, et se relit⊠aussi sans enfants ! Et en effet, Le Grand MĂ©chant Renard est un ouvrage Ă plusieurs niveaux de lectures, plein dâhumour et de dĂ©rision, trĂšs bien rythmĂ©, et que je relis chaque fois avec un immense plaisir !
Le coup de cĆur de Nicolas : Plan-plan cucul dâAnouk Ricard
Je vous ai dĂ©jĂ parlĂ© dâAnouk Ricard je crois. En fait jâen suis sĂ»r mais comme tout son univers est improbable, il faut toujours se mĂ©fier des certitudes.
Anouk Ricard sâempare des genres et les englue lentement dans lâabsurde avec une grosse dose dâhumour ultra dĂ©calĂ©, tout en conservant son dessin animalier faussement naĂŻf. AprĂšs lâincroyable Coucous bouzon qui sâattaquait au monde de lâentreprise, Plan-plan cucul reprends les codes du porno old-school dâavant internet. On y croise des livreurs de pizza sexy, des rĂ©parateurs de tĂ©lĂ© que lâon reçoit en petite tenue, des infirmiĂšres candides,⊠bref tous les archĂ©types de ses productions cheap dont les scĂ©narios et dialogues tiennent intĂ©gralement sur lâĂ©lastique dâun slip.
Pas besoin dâaller trĂšs loin pour parodier ces films, du coup la dessinatrice en rajoute une couche. Au milieu de la partouze gĂ©ante entre les diffĂ©rentes incarnations de fantasmes conventionnels (policiers, infirmiĂšres, soubrettes,âŠ) prĂ©sents Ă la soirĂ©e, arrivent une bande dâextraterrestres : des femmes vagins qui fuient leurs hommes pĂ©nis impuissants.
Le plus amusant est que personne ne se comprend vraiment dans les albums dâAnouk Ricard. Le monde semble peuplĂ© dâidiots et de simplets plus ou moins sympathiques et elle sâamuse Ă dĂ©cortiquer nos pratiques sociales Ă travers ce prisme. Je viens dâacheter ces deux albums de Faits divers chez Cornelius oĂč elle illustre de vrais faits divers tirĂ©s de la presse rĂ©gionale. Et bien ce nâest pas trĂšs diffĂ©rent, les idiots sont plus nombreux que lâon croitâŠLisez Plan-plan cucul !
Parce que⊠Lisez tout ses albums en fait.
Le coup de cĆur de Thomas : Watchmen dâAlan Moore & Dave Gibbons
La bande dessinĂ©e qui mâa le plus marquĂ© ado et poussĂ© Ă rĂ©flĂ©chir Ă ce mĂ©dium comme une Ćuvre littĂ©raire Ă part entiĂšre. De comprendre que la forme et le fond Ă©taient Ă©troitement liĂ©s, lâun et/est lâautre. Alan Moore est le plus grand scĂ©nariste contemporain et il pousse le dĂ©tail Ă un point que les dessinateurs qui lâaccompagnent sur ces projets deviennent les co-auteurs dâun livre-monde unique Ă chaque fois.
Ultra-violent dans les paroles et dans les actes. DĂ©crivant un monde changeant pourri par la corruption, les manigances gouvernementales et les guerres ; une vision qui nâĂ©tait pas pour me dĂ©plaire Ă lâĂąge officiel de la rĂ©bellion et la fin de lâenfance. La portĂ©e politique de lâĆuvre et la dĂ©construction du hĂ©ros classique remettaient en cause pas mal dâautres lectures et offraient un nouveau sens Ă dâautres. J’ai dĂ©couvert que certains livres possĂ©daient les clefs pour en lire dâautres.
Une Ă©criture forte, presque magique selon les thĂ©ories de lâĂ©crivain-magicien, oĂč chaque mot, case ou dĂ©tail du dessin Ă une importance dans cet Ă©difice mĂ©ta-textuel. Un dessin rĂ©tro, volontairement vintage et datĂ© avec une construction et une mise en scĂšne trĂšs minutieuse qui offre Ă son lecteur une plongĂ©e entre lâĂ©touffement et la fascination. Je ne sais pas comment lâont lu ceux qui ont dĂ©couvert le comics lors de sa prĂ©publication mais pour ma part impossible de ne pas lire lâintĂ©grale dâun bloc, dâun souffle.
Une enquĂȘte terrible sur un assassin de hĂ©ros au milieu de la Guerre froide, une quĂȘte dĂ©sespĂ©rĂ©e au moment oĂč la fin du monde est programmĂ©e par deux superpuissances, un complot impossible Ă comprendre et maĂźtriser mĂȘme pour des surhumains. Le ton monte, les personnages sont odieux, lâunivers glauque mais difficile de ne pas tomber sous le charme dĂ©suet de ses hĂ©ros maladroits, crĂ©tins et rĂ©actionnaires qui pensent faire le bien. Les auteurs posent un regard critique sur le bien fondĂ© des super-hĂ©ros et de lâidĂ©ologie vĂ©hiculĂ©e depuis Superman et sâinterrogent mĂȘme sur notre sociĂ©tĂ© Ă travers ces grandes idĂ©es sur la Justice, la Morale, le Bien et le Mal qui composent la trame hebdomadaire des fascicules amĂ©ricains.
Coup de gĂ©nie, mais le scĂ©nariste ne les comptes plus. Cette histoire volontairement datĂ©e et millĂ©simĂ©e en devient intemporelle. Une Ćuvre qui parle de son Ă©poque et de la nĂŽtre. Un album qui offre une nouvelle lecture Ă chaque relecture.